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— Oui, car la guerre fera fusionner toutes les classes sociales ; elle rapprochera le paysan de l’ouvrier et de l’étudiant ; elle mettra une fois de plus en lumière les hontes de notre bureaucratie, ce qui obligera le Gouvernement à compter avec l’opinion publique ; elle introduira enfin dans la caste nobiliaire des officiers un élément libéral et même démocratique, les lieutenants de réserve. Cet élément a déjà joué un grand rôle politique pendant la guerre de Mandchourie… Sans lui, les émeutes militaires de 1905 n’auraient pas été possibles.

— Soyons victorieux d’abord. Nous verrons ensuite.

Le Président de la Douma, Michel-Wladimirowitch Rodzianko, me tient aussi le langage le plus rassurant… pour le présent :

— La guerre, me dit-il, a mis fin subitement à toutes nos dissensions intestines. Dans tous les partis de la Douma, on ne pense qu’à se battre contre l’Allemagne. Le peuple russe n’a pas éprouvé une pareille secousse de patriotisme depuis 1812…

Le Grand-Duc Nicolas-Nicolaïéwitch est nommé généralissime, à titre provisoire, l’Empereur se réservant d’assurer, en temps opportun, le commandement personnel et direct de ses armées.

Cette nomination a motivé une délibération très animée dans le conseil que Sa Majesté a tenu avec ses ministres. L’Empereur voulait se mettre immédiatement à la tête des troupes. Gorémykine, Krivoschéïne, l’amiral Grigorowitch et surtout Sazonow lui ont représenté, avec une respectueuse insistance, qu’il ne doit pas risquer de compromettre son prestige et son autorité dans la conduite d’une guerre qui s’annonce comme très rude, très dangereuse, et dont les débuts sont des plus incertains.

— Il faut s’attendre, a dit Sazonow, à ce que nous soyons obligés de reculer pendant les premières semaines. Votre Majesté ne doit pas s’exposer aux critiques que ce recul ne manquerait pas de provoquer dans le peuple et même dans l’armée.

L’Empereur a objecté l’exemple de son ancêtre, Alexandre Ier, en 1805 et en 1812. Sazonow a judicieusement répliqué :

— Que Votre Majesté veuille bien relire les mémoires et les correspondances du temps. Elle y verra comme son auguste