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les écoulent, représente la poésie moderne inquiète, tourmentée, qui conduit irrésistiblement au désespoir et à la folie, tandis qu’Holda, c’est le romantisme éternel, profondément vrai, joyeux, qui entraîne celui qu’il séduit et l’enchante de ses chants pleins de beauté, d’harmonie et de mystère, comme le clair-obscur de la forêt. Qu’est-ce à dire ? Une pensée fort nette : pour Kauffmann, le thème de Lorelei suppose une résistance, un scrupule chez la victime de tant de séduction, mais l’abandon joyeux avec lequel on cède à Holda signifie une abdication totale de l’être, un élan brutal, déchaîné par la séduction primitive. Le don sans réserve et forcené de soi-même, la spontanéité sans frein, voilà ce que la déesse Holda détermine chez ses suivants avec une violence sauvage, alors que les nautoniers victimes de Lorelei ont tenté de diriger leur esquif en dépit de la séduction de ses chants. Et, ce Germain d’outre-Rhin reproche à la légende rhénane un fond de sagesse odysséenne, un « Méfiez-vous du charme ensorceleur de la Sirène. » Cet esprit de mesure l’inquiète. Il y voit le fait des peuples abâtardis, malades par manque d’audace. Eh ! quoi, dit-il, ne sommes-nous donc plus entre purs Teutons ? Ce germaniste s’offense de soupçonner qu’une fable d’inspiration classique a pu s’installer sur le fleuve dont sa convoitise rêve précisément de faire, non la frontière, mais le centre spirituel, le lieu sacré de la Germanie.


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Accueillantes aux faits divers où l’humanité se déploie, défiantes à l’égard des prestiges désordonnés de la nature sans contrôle, les légendes rhénanes devaient faire une place d’élection aux faits et aux figures qui exaltent une action civilisatrice. La légende du Rhin est avant tout une légende historique. Les personnages mythiques n’y constituent qu’un accompagnement charmant, une frange d’or jointe à des aventures et à des émotions empruntées à la riche histoire de la vieille vallée. Elle nous donne l’écho des grands courants de la civilisation, dans l’âme d’une population qui veut surtout retenir ses heures bienfaisantes et paisibles. Elle s’attarda moins à nous conter les passages d’invasions, les destructions auxquelles ce pays de frontières a été voué, les coups du fléau de Dieu et des hordes guerrières, qu’à célébrer les activités constructrices des grands