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c’est plutôt à M. Jourdain qu’il ressemble, et si bien qu’avec un peu d’effort et quelques modifications de détail, la plupart des grandes scènes pourraient se jouer en costumes Louis XIV, Gaston de Presles prenant le pseudonyme de Clitandre. Mais le trait le plus important ferait défaut. Poirier, c’est M. Jourdain, sans doute, mais un M. Jourdain dont le père aurait été jacobin. En 1854, le manant d’hier, encore surpris de sa victoire sur l’aristocratie, conserve malgré lui crainte, respect et admiration pour un maître dont il est encore étonné d’avoir pu prendre la place. Il s’y prélasse cependant avec des alternatives d’arrogance et d’humilité, suivant qu’il croit sa conquête assurée ou compromise : il a peur de son prisonnier.

L’auteur lui-même n’est pas complètement libéré de ces sentiments. Nous sentons bien qu’il garde au marquis de Presles une certaine déférence, une sympathie respectueuse et que ce titre, ces manières de gentilhomme l’éblouissent encore un peu. Son héros commet de bien vilaines actions : il a épousé, rien que pour sa fortune, la fille d’un homme dont la vulgarité n’a pas pu ne pas lui sauter aux yeux dès la première entrevue. Disons le mot : il a vendu son titre, il a monnayé ses ancêtres. Il a fait un marché. Ce marché, il ne l’exécute pas loyalement. Il a de l’honneur, peut-être, mais pas de probité. Trois mois après la noce, il reprend une ancienne maîtresse et jette aux quatre vents les écus du père Poirier, qu’il traite comme il ferait d’un usurier, d’un intendant, qu’il ridiculise et bafoue sans vergogne, et devant lequel, par suite de ses propres fautes, il est obligé d’incliner sa fierté. Poirier, d’ailleurs, n’est guère plus sympathique, et l’autour l’a peut-être chargé de traits un peu gros. Poirier a su réaliser une fortune de quatre millions, et quatre millions en 1854, c’était une richesse de fermier-général. Il n’a pas gagné cette somme en vendant du drap à l’aune, dans une boutique de la rue Saint-Denis. Il n’a pas été un marchand, mais un négociant, voire un spéculateur ; il a dû se frotter au monde, et ne peut être le courtaud qu’on nous montra ; il semble qu’il n’ait été chargé de tant de vulgarités que par une secrète complaisance de l’auteur pour son adversaire le gentilhomme.

Il y a comme un concours de vilenies entre le gendre et le beau-père. Chacun est à son tour la victime de l’autre, et la prodigieuse habileté d’Augier fait qu’à chaque coup, nous nous