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RASTIBOULOIS. — Tout platonique ? Vous en êtes bien sûre ?
Mme FOURCHAMBAULT. — J’en jurerais.
RASTIBOULOIS. — Tant pis ! morbleu ! Tant pis ! J’avais meilleure opinion de Léopold. Je lui aurais donné le diable sans confession à ce garçon-là. Il n’a pas plus l’air d’un amant transi !
Mme FOURCHAMBAULT. — Oh ! s’il l’est, ce n’est pas sa faute, le petit monstre.
RASTIBOULOIS. — La belle n’a pourtant pas les allures d’une inhumaine et à moins qu’elle n’ait des visées plus sérieuses… Ah ! c’est bien possible, prenez garde.
Mme FOURCHAMBAULT. — Il n’y a pas de danger de ce côté-là. Mon fils est bien étourdi, mais il a été élevé dans des principes… incompatibles avec un sot mariage.
RASTIBOULOIS. — Hé ! Hé ! Qui sait jusqu’où une jolie fille peut conduire un amoureux par sa résistance ?
Mme FOURCHAMBAULT (finement). — Ne vous inquiétez de rien.
RASTIBOULOIS. — Voilà un sourire qui me rassure. L’aveu est complet… N’essayez pas de le retirer ! (lui prenant la main) Je suis père et je vous comprends. D’ailleurs, vous n’aviez pas charge d’âme, Mlle Letellier était bien d’âge à se défendre.
Mme FOURCHAMBAULT. — Il est certain qu’elle était majeure.
RASTIBOULOIS. — Vous avez agi en mère judicieuse et, quant à moi, je vous donne l’absolution. Malheureusement, nos jeunes gens ont fait bien des imprudences.
Mme FOURCHAMBAULT. — Que voulez-vous ? Ils sont jeunes.
RASTIBOULOIS. — Leur liaison n’est pas restée sous le manteau de la cheminée. Le bruit en est venu jusqu’à ma femme et je ne vous cache pas que cela me met dans un terrible embarras.
Mme FOURCHAMBAULT. — Quel embarras ?
RASTIBOULOIS. — Entre nous, ma femme est un très petit esprit, très étroit, très obstiné, rien de Madame de Sévigné ! Ne m’a-t-elle pas déclaré tout à l’heure qu’en présence de ce qu’elle appelle un esclandre, elle renonçait positivement à l’honneur de votre alliance ?
Mme FOURCHAMBAULT, se levant. — Vous plaisantez ?
RASTIBOULOIS. — Je suis vite accouru dans l’espoir de tirer de vous quelques éclaircissements de nature à calmer ses scrupules, car je tiens par-dessus tout à votre alliance, je crois l’avoir assez prouvé ! Mais que diable ! vous avouez tout ! Que voulez-vous que j’allègue à la baronne ? Que puis-je m’alléguera moi-même ? Car enfin, tout cela est charmant, tout cela rappelle le grand siècle ! Vous avez agi en mère judicieuse au point de vue de votre fils, je ne m’en dédis pas, mais bien imprudente au point de vue de votre fille. Voilà une enfant bien difficile à marier, vivant dans un milieu si… comment dirai-je ?