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et les ondines ont chanté pour Siegfried le chant des éléments, la mélopée des mythologies nordiques. En donnant ce titre : l’Or du Rhin, à la première pièce de sa Tétralogie, Wagner veut proclamer que la Mythologie germanique est installée sur le Rhin, comme si elle y avait été éternellement chez elle. Goethe avait sur les Niebelungen des idées à la Bédier ; il les concevait comme les héros d’un itinéraire. Ils viennent de conquérir leur poste le plus occidental. Après les victoires de Sedan et de Bayreuth, la Rhénanie s’ouvre au cortège triomphal d’Odin et de Freya. C’est l’écroulement du Panthéon rhénan et de tout ce qui s’y trouvait adossé et vivifié. La partie semble gagnée au bénéfice des Alberich et des Fafner. L’assombrissement du Rhin et son annexion à la Mythologie du Walhalla sont accomplis.

Et pourtant la vue du poète français conserve sa valeur ! Ce qu’il a défini reste vrai ; sous l’alluvion du génie d’outre-Rhin subsistent les dieux en exil de la Rhénanie ; les figures des musées de Trêves et de Cologne, le peuple des saints et des preux, toutes les formes bienfaisantes que l’imagination rhénane n’a pas cessé d’accueillir attendent avec persistance l’heure propice. Quel symbole émouvant que ces grands albums, où, en pleine guerre, le commandant Espérandieu a rassemblé et publié tout ce qui subsiste d’images des dieux, des héros et des simples mortels de l’époque gallo-romaine dans la Gaule Belgique ![1] On dirait un livre de mobilisation. Les voilà tous rassemblés, ces ancêtres, pour chasser à nouveau dans leurs brumes les divinités qu’un flot trouble apporta.

C’est à ce retour du sort que nous commençons d’assister. Une nouvelle phase de la tragédie du monde est ouverte, par la défaite de la Prusse, sur le fleuve où, depuis des siècles, les esprits du Nord et du Midi s’affrontent. La France est prête à rendre au vieux Génie du Rhin ses titres de civilisation et à l’aider à résister aux invasions de la propagande germanique. L’heure nous propose une tâche, et l’enquête que nous venons d’essayer nous engage dans le bon chemin. Elle nous a fait connaître l’utile action, au cours du XIXe siècle, de nos administrateurs, de nos poètes et de nos savants. Mais, pour les continuer, il nous faut saisir le problème dans sa réalité présente et employer des méthodes immédiates précises. Notre vieille Société

  1. Je crois qu’un tel recueil, créé dans un tel moment, aucun intellectuel rhénan ne pourra le feuilleter sans émotion.