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lampe Carcel en bronze, posée sur un pied du même métal. Le demi-jour projeté à travers le globe permettait de distinguer un de ces mobiliers comme il s’en trouve, encore aujourd’hui, dans les hôtels du faubourg Saint-Germain qui n’ont pas changé de maîtres depuis plusieurs générations. Des bergères, des paravents, des consoles qui sont des objets de musée y voisinent avec des poufs capitonnés, du goût le plus démodé. Cet hôtel-ci était classiquement situé entre cour et jardin, dans la partie de la rue de l’Université qui va de la rue de Bellechasse à la rue du Bac. L’absence d’électricité dans ce large salon du premier étage, aux fenêtres hautes, attestait que la propriétaire de cette demeure continuait d’y vivre dans les us et coutumes des aïeux de qui elle l’avait héritée. Elle allait y mourir, soignée par une nièce dont la physionomie et la toilette révélaient une Parisienne aussi éprise de la mode que la tante avait pu lui être hostile. Mme de Malhyver était grande et mince, avec un profil d’une extrême finesse, où chaque trait disait la race ; mais ce joli visage aristocratique était fait, pour employer la vulgaire expression courante. Elle avait du rouge aux lèvres et aux joues, un rien de noir autour de ses yeux bruns. Ses beaux cheveux châtains, lavés au henné, montraient des reflets facticement dorés. Quoiqu’il fût onze heures du soir, elle portait une robe d’après-midi, trop courte. Sur des bas de soie noirs, presque transparents de finesse, se nouaient les rubans des cothurnes qui chaussaient ses pieds étroits. La nouvelle d’une attaque dont venait d’être frappée sa tante l’avait surprise rentrant de ses courses, comme elle allait s’habiller. Elle était accourue telle quelle, laissant son mari se rendre seul au dîner en ville auquel ils étaient priés tous les deux.

— J’arrive très tard, expliqua celui-ci. On s’est mis à table à neuf heures. Comment va la tante ? Que dit le docteur Graux ?

— Qu’elle est bien mal, mais qu’elle peut s’en tirer. Ce sont ses mots : elle a toujours eu une telle volonté de vivre !

— Elle a retrouvé la parole ?

— Non. Du côté droit, même impossibilité de bouger. Graux a parlé d’une hémorrhagie dans le côté gauche du cerveau, due à l’artério-sclérose. Ce sont toujours ses mots. Le plus terrible, c’est que la pauvre femme a elle-même assisté à son attaque, raconte la Sœur. Elle s’est plainte de fourmillements dans la main, puis la jambe lui a manqué. Elle a bredouillé.