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comprendre pourquoi le cœur de sa fille n’est pas fait à la mesure du sien.

Dans la suite, George se réconcilia avec la belle et méchante Solange, lorsque celle-ci, malheureuse, pleura la mort de son enfant. Ces années, pour George Sand, furent donc de cruelles années : séparation d’avec Chopin, qu’elle n’aimait plus d’ailleurs, querelles avec sa fille. Néanmoins, elle ne s’attarda pas à ces peines plus qu’il n’était nécessaire de le faire. Elle écrit dans l’Histoire de ma vie : « La résignation n’est pas dans ma nature, » et ce mot de résignation l’irrite. Elle a mieux à faire que de « tendre un des endurci aux coups de l’iniquité. » Sa nature est si riche, qu’instinctivement elle la pousse à vivre, et non à pleurer les chagrins passés ; il lui faut donc après cela s’intéresser à nouveau, aimer, se dévouer, combattre, — pour une idée, pour un homme, pour son enfant, pour la vérité, la République, les pauvres, n’importe ! coûte que coûte, — et elle sait ce que cela lui coûte, — il lui faut se passionner encore, et puis, encore, pleurer ! C’est après la rupture avec Solange, que la Révolution de 48 apporta à son esprit de nouvelles sources d’agitation, d’enthousiasme, puis de déception.

George Sand se jeta avec ferveur dans la Révolution de février. L’idéal généreux qui l’inspira, devait la séduire. On aurait pu dire de George, alors, ce que disait un de ses héros : « J’étais un homme à illusions, comme tous les hommes à idées. » Elle crut à tout : à la conviction des meneurs, à leur désir de servir la cause du peuple, elle crut à Ledru-Rollin, aux bienfaits du suffrage universel, elle crut à la fraternité immortelle, et comme les revendications d’égalité et de justice sociale formulées par les ouvriers lui parurent équitables, elle crut à la réforme immédiate et magnifique de la société. Le 9 mars, débordant d’enthousiasme, elle écrit à Charles Foncy :

« J’ai vu le peuple grand, sublime, naïf, glorieux, le peuple français réuni au cœur de la France… j’ai passé bien des nuits sans dormir, bien des jours sans m’asseoir. On est fou, on est ivre, on est heureux de s’être endormi dans la fange et de s’éveiller dans les cieux. » Elle retrouve, pour parler du peuple, l’éloquence qu’elle possédait naguère pour célébrer l’amour : « Vivre ! que c’est doux ! que c’est bon ! Vivre, c’est enivrant ; aimer, être aimé, c’est le bonheur, c’est le ciel ! » Les deux morceaux se ressemblant ; pourtant, je préfère le premier.