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seulement par leur périphérie, et qui n’est pas directement mêlé à ce qui s’y passe. L’Europe est, pour lui, une côte qui borde les mers anglaises et derrière laquelle il y a des hommes qui produisent et consomment. De l’empire napoléonien, l’Angleterre a vu le blocus continental et lutté à outrance pour le briser. Pour un homme d’Etat continental, l’Europe est une collection d’Etats que bordent des mers ; la mer est pour lui un chemin, non un domaine ; il considère tout événement continental comme intéressant directement la sécurité et la paix de son pays. Jamais le point de vue du pilote britannique et celui du chef d’Etat européen ne se recouvrent exactement. On a dit avec raison que l’Anglais est trop Anglais pour être bon Européen ; il n’a jamais eu l’esprit européen, c’est-à-dire qu’il ne se sent pas membre obligatoirement solidaire d’une collectivité à laquelle il ne lui est pas permis de se soustraire et qu’il n’a qu’un intérêt extérieur à bien aménager. Il est l’hôte de la maison européenne, il y compte des amis, des clients, il y pénètre, mais ne l’habite pas. Sa politique européenne peut se définir d’un mot : la politique des ports.

Ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle, et surtout au XIXe, quand l’Angleterre eut organisé sa vie commerciale et se fut faite « le roulier des mers, » qu’elle eut la pleine révélation des avantages de son insularité. Autrefois, elle refusait de s’en prévaloir et recherchait les occasions de se mêler aux affaires du continent. Cette politique d’intervention était celle des rois ; ils gaspillèrent des siècles à disputer la couronne de France. La nation, quand elle fut maîtresse de ses destinées, se retrancha dans son isolement ; elle voulut son église, sa religion à elle et rien qu’à elle. La passion nationale du no popery n’est qu’une des formes du particularisme britannique : elle reste vivante, et il est possible que, par exemple, l’attitude d’un Lloyd George à l’égard de la Pologne catholique, ou certaines indulgences d’un Keynes pour la Prusse protestante, s’expliquent, du moins en partie, par une survivance, peut-être inconsciente, de vieilles passions religieuses.

A mesure qu’avec le développement intense de la grande industrie par la houille et le fer, l’Angleterre s’est trouvée en face d’un besoin toujours grandissant de vendre au dehors ses produits fabriqués et d’acheter les denrées nécessaires à sa vie et les matières premières indispensables à la production de ses