Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/619

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

le monde. C’est grâce à l’épidémie de varicelle de l’hiver dernier que les hommes mariés ont pu s’échapper pour aller chez Mrs Struthers pendant que les femmes soignaient leurs enfants. Vous, Louisa, et ce cher Henri, devez garder la place, comme vous l’avez toujours fait.

Mr et Mrs van der Luyden ne pouvaient rester sourds à cet appel. À contre-cœur, mais toujours héroïquement soumis au devoir, ils étaient rentrés en ville, avaient ôté leurs housses, envoyé leurs invitations pour deux dîners et une soirée.

Ce soir-là, Mr Sillerton Jackson, Mrs Archer, Newland et sa femme devaient aller avec eux à l’Opéra. On chantait Faust pour la première fois de l’hiver. Et comme rien ne se faisait sans cérémonie sous le toit des van der Luyden, malgré le petit nombre des invités, le repas avait commencé à sept heures pour que le nombre convenable de services pût se dérouler avec majesté avant le moment des cigares.

Archer était parti de bonne heure pour son bureau, où il avait été retenu. De l’autre côté de la table couverte d’œillets de Skuytercliff et d’argenterie massive, May lui sembla pâle et languissante. Mais ses yeux brillaient, et elle parlait avec une vivacité factice.

Le sujet qui avait provoqué le souvenir des Tuileries cher à Mr Sillerton Jackson avait été soulevé (non sans intention, pensa Archer) par Mrs van der Luyden. La faillite, ou plutôt l’attitude de Beaufort depuis la faillite, était un thème fructueux pour le moraliste de salon. Après avoir analysé et condamné cette attitude, Mrs van der Luyden tourna son regard hésitant vers May Archer.

— Est-il possible, ma chère, que ce qu’on m’a dit soit vrai ? On prétend que la voiture de votre grand’mère Mingott a été vue devant la porte de Mrs Beaufort. Déjà Mrs van der Luyden n’appelait plus par son nom de baptême la complice du scandale.

May rougit.

— Je crains, dit Mr van der Luyden, que le bon cœur de Mme  Olenska ne l’ait entraînée à commettre l’imprudence d’aller chez Mrs Beaufort.

— Ou son goût pour les gens tarés, ajouta sèchement Mrs Archer.

— Aux Tuileries, reprit Mr Sillerton (et tous les regards