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jours compter, et je voulais qu’elle sût que, vous et moi, dans tous nos sentiments, nous ne faisons qu’un.

Elle ajouta d’une voix grave et lente :

— Elle a compris pourquoi j’avais voulu lui dire cela… Je crois qu’elle comprend tout…

May se leva, prit la main glacée de son mari, la pressa contre sa joue.

— Moi aussi, dit-elle, la tête me fait mal. J’ai besoin de repos. Bonsoir, mon chéri.

Et elle se dirigea vers la porte, relevant la traîne salie et déchirée de sa robe de noces.


XXXIII


Comme Mrs Archer le disait en souriant à Mrs Welland, c’était un événement pour un jeune ménage de donner son premier grand dîner.

Les Newland Archer, depuis qu’ils s’étaient installés chez eux, recevaient souvent dans l’intimité. Mais un grand dîner avec un chef d’extra, deux valets de pied prêtés pour la circonstance, un sorbet à la romaine, des roses de chez Henderson, des menus dorés sur tranches, était une bien autre affaire. « C’était le sorbet, disait Mrs Archer, qui faisait toute la différence ; » du moment qu’il y avait un sorbet, il fallait qu’il y eût aussi deux services, des canards canvas-back ou du terrapin, deux plats sucrés, un froid et un chaud, le grand décolleté, et des invités de marque.

C’était toujours intéressant de voir un jeune ménage lancer pour la première fois ses invitations à la troisième personne : même les gens les plus blasés et les plus recherchés refusaient rarement. On admettait pourtant que c’était un triomphe que les van der Luyden, à la requête de May, eussent retardé leur départ pour assister au dîner d’adieu donné à la comtesse Olenska.

L’après-midi du grand jour, Archer, revenu tard de son bureau, trouva les deux belles-mères assises dans le salon de May. Mrs Archer avait fini d’écrire les menus, et commençait à préparer des cartes portant les noms des invités. Mrs Welland présidait à la disposition des palmiers et des grandes lampes à pied. Sur le piano se dressait un grand panier d’orchidées