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Ce triomphe parut une victoire sur les romantiques, qui, d’ailleurs, accusèrent le coup, en reprochant à l’œuvre « de caresser les bas instincts de la foule, de prendre parti contre l’idéal. » Si l’idéal est l’amour coupable, rien n’est plus vrai ; si l’idéal est l’amant, c’est tout à fait exact.

Le sujet de la pièce peut s’écrire en trois lignes. Une femme, troublée par ses lectures et par l’inaction, va faillir. Elle est retenue par son mari, qui lui montre les mensonges de la fausse poésie et le bonheur de la simple réalité. C’est tout. Mais l’habileté théâtrale d’Emile Augier est grande. Elle n’apparaît pas à une première lecture, ce qui est déjà pour elle une façon de se prouver. A l’examen, on ne peut s’empêcher d’admirer l’heureuse simplicité des moyens dramatiques mis en œuvre. Dès le lever du rideau, dès les premiers, vers, les deux principaux personnages sont posés. La femme lit un roman, le mari, avocat, cherche son Code. La lutte va se livrer entre ce roman et ce livre de travail, entre le rêve et la réalité. Augier, voulant d’autre part excuser son héroïne, donnera des torts au mari, torts que celui-ci reconnaîtra au dernier acte, et dont il s’excusera joliment :

Ai-je vraiment le droit
D’être un juge orgueilleux et dur à ton endroit ?
… Moi qui, dans mon travail absorbé sans relâche,
… Sans m’en apercevoir, ai perdu jour par jour
Les soins et le respect, ces gardiens de l’amour…

Et comme Augier veut protester non seulement contre l’amour coupable, mais contre le romantisme au langage ampoulé et pernicieux, il sera, contre ce romantisme, dès les premières pages aussi, agressif avec ostentation. Aux vers empanachés et redondants, il opposera les vers les plus plats qu’il pourra trouver. Il le fait exprès, n’en doutez pas. Ses alexandrins sont des provocations :

Je n’ai qu’à me croiser les bras jusqu’à ce soir

est le troisième vers de la pièce…

Ma mère avait aussi cette démangeaison
De serrer mes effets lorsque j’étais garçon.

Ce distique est la troisième réplique de Julien, le mari. Voici la dixième.