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sa propre vie. Il consentait à échanger deux fantaisies, il n’accepte pas de lier deux existences. Il est décontenancé, et pour un peu il dirait les mois que prononcera plus tard un personnage de Meilhac et Halévy : « Moi, je vous aimais en homme du monde. » Mais citons, au lieu de raconter. Gabrielle sort pour préparer la lettre qu’elle laissera à son mari.

Je vais l’écrire. Vous, préparez notre fuite.

Elle sort.

STÉPHANE, seul.

Voilà qui pour le coup passe toute limite !
Fuir ! — mais je ne veux pas ! C’est fou, c’est saugrenu,
Cela sort tout à fait du programme connu !
On fait ces rêves-là les jours où l’on est ivre,
Mais de sang-froid ! d’ailleurs, j’ai juste de quoi vivre,
Cinq mille francs de rente, et s’il faut partager…
Allons ! Est-ce qu’on peut seulement y songer ?
L’adultère de loin est une belle chose,
Mais de près il n’est pas du tout couleur de rose !
Si je puis en sortir cette fois, je promets
De n’y plus être pris jamais, au grand jamais !

Gabrielle reparaît avec la lettre qu’elle vient d’écrire à son mari :

GABRIELLE.

Quand j’ai signé cela, — pardonnez ma faiblesse,
Stéphane, — Il m’a semblé voir toute ma jeunesse
Se lever en pleurant et me tendre les bras
Comme pour me crier : ne m’abandonne pas !

STÉPHANE.

C’est peut-être un avis que le ciel vous envoie
Pour détourner vos pas d’une funeste voie.
Réfléchissez, madame, avant d’aller plus loin.

GABRIELLE.

Laissez-moi mon courage. Hélas ! j’en ai besoin.

STÉPHANE.

Non, avant d’accepter un pareil sacrifice
Je veux que votre esprit aux suites réfléchisse
Et dois vous avertir avant, de peur qu’après
Un reproche pour moi n’entre dans vos regrets.