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remplacés à la frontière orientale d’Allemagne par des formations de landwehr. Le plan de guerre du Grand État-major allemand est trop clair pour qu’il y ait besoin d’insister sur la nécessité d’une offensive à outrance des armées russes, se dirigeant vers Berlin. Prévenez d’urgence le Gouvernement russe et insistez.

J’interviens immédiatement auprès du Grand-Duc Nicolas et du général Soukhomlinow. En même temps, j’informe l’Empereur.

Le soir même, je suis en mesure d’affirmer au Gouvernement français que l’armée russe poursuit sa marche vers Kœnigsberg et Thorn, avec toute la vigueur et toute la rapidité possibles. Une bataille importante se prépare entre la Narew et l’Ukra.

On a précisément amené aujourd’hui à l’hôpital français de Saint-Pélersbourg un aide de camp du Grand-Duc Nicolas, le prince Cantacuzène, qui a eu la poitrine traversée d’une balle, près de Gumbinnen. Le docteur Cresson, chirurgien en chef, s’est entretenu quelques instants avec lui : le blessé est encore tout vibrant de l’ardeur agressive qui entraîne les troupes russes ; il affirme, avec fièvre, que le Grand-Duc Nicolas est résolu à s’ouvrir, coûte que coûte, la route de Berlin.


Mardi, 25 août.

Les Allemands sont vainqueurs à Charleroi ; ils nous ont, de plus, infligé un grave échec, au Sud des Ardennes belges, près de Neufchâteau. Toutes les armées françaises et anglaises battent en retraite vers l’Oise et la Semoy.

Ces nouvelles, quoique tamisées par la censure, produisent à Saint-Pétersbourg un courant d’inquiétude contre lequel je réagis de mon mieux, en m’inspirant d’un artifice que Tolstoï attribue au prince Bagration, dans Guerre et Paix, et qu’on devrait inscrire dans le bréviaire moral de tous les commandants un chef. Sur le champ de bataille d’Austerlitz, le prince ne cessait de recevoir des messages alarmants ; il les recevait tous avec une tranquillité parfaite et même un air d’acquiescement, comme si ce qu’on lui annonçait était précisément ce qu’il attendait.

Au Nord de la Prusse orientale, les Russes ont occupé les