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garanties pour aborder un problème aussi difficile avec d’aussi infimes moyens. N’était-ce pas lui qui, dans le Sud du Maroc, en pleine guerre, avait eu l’art et l’on peut dire la science de nous concilier, par la politique seule, d’immenses tribus insoumises avec lesquelles nous n’échangeâmes pas un coup de fusil ? Quel autre homme choisir pour mener en Syrie, avec des moyens minimes, une politique et une action militaire exigeant l’habileté et l’économie ? Le général de Lamothe y ajouta l’esprit de sacrifice qu’il fallait dans des circonstances aussi précaires ; nommé au commandement de sa division, le 6 février, et parti aussitôt pour fixer son quartier général à Killis, il trouva le pays tellement troublé qu’il lui fut impossible d’atteindre ce point avant la fin de mars. Il resta jusque-là à Katma, sur la voie ferrée au Nord d’Alep, installé dans un modeste compartiment de chemin de fer du Bagdad, par dix degrés de froid, avec son fidèle chef d’État-major. C’était le commandant Rochas qui, un mois plus tôt, avait été, comme dans l’opérette, « pris par des brigands » sur la route de Damas.

Il était temps d’adopter le dispositif militaire qui plaçait côte à côte sur notre front Nord les divisions de Lamothe et Dufieux. Les bandes opéraient sur les revers du Taurus, enseveli sous les neiges ; des contingents plus solides encore agissaient plus à l’Est, où le froid était moins rigoureux.

Depuis le début de février, Ourfa et tous nos postes de l’Euphrate étaient assiégés ; à Aïntab, le colonel Flye Sainte-Marie maintenait l’ordre par un tour de force sans cesse renouvelé. Dès les premiers beaux jours, l’invasion kémaliste inonde la Cilicie. C’est à grand’peine qu’on l’empêchera de la submerger. Les passes de la montagne vomissent l’envahisseur : le sandjak de Kozan est occupé par lui, il assiège Hadjin et Sis, ses coureurs atteignent les abords de la voie ferrée près de Mersine et d’Adana.

Le plan kémaliste consiste à pénétrer dans le pays, y soulever les paysans, les organiser méthodiquement, donner l’assaut à nos postes, ou tout au moins couper leurs communications, jusqu’au jour où, à bout de ressources, ils devront ou succomber ou se retirer.

Le même plan est appliqué à l’Est de l’Amanus. Dès la fin de mars, Aïntab et Killis sont encerclés par des forces irrégulières, nos convois attaqués.