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dotée. Puis, à cinquante ans passés, se trouvant « bien seul et bien inutile, » il a rencontré Séraphine qu’une mère malade allait bientôt laisser sans appui, sans ressources. « Il me restait quatre-vingt mille francs de mon patrimoine et de mes économies… Je n’étais plus jeune, dit-il, mais je n’étais pas vieux ; elle consentit à m’épouser, et je recommençai à vivre. » Il vécut dans l’adoration de sa femme, se tuant de travail pour subvenir à ses besoins de luxe, imitant les Italiens : « Je rogne sur la toilette pour parer la madone. »

Il apercevait ; bien que les dépenses de Séraphine étaient exagérées, mais celle-ci endormait ses inquiétudes par des histoires d’occasions extraordinaires qui trompèrent longtemps le bonhomme, peu habile à estimer la valeur d’une dentelle, d’une robe ou d’une paire de rideaux. Et c’est Léon Lecarnier, le mari de la pupille, qui entretient la femme de son bienfaiteur.

De tels désordres ne peuvent rester longtemps cachés. Thérèse, la première, en a la révélation. Sa douleur est grande, son héroïsme plus grand encore. Elle n’a qu’une pensée : empêcher que Pommeau n’apprenne l’horrible chose. Malgré tout, il connaît, d’abord par les révélations d’une marchande à la toilette, que sa femme a des dettes. C’est presque un soulagement pour lui, car des chuchotements l’avaient porté à douter de la fidélité de Séraphine. Ensuite, par les mensonges de celle-ci, il apprend tout, tout sauf le nom du bailleur de fonds : « Qui défraye ton luxe, dis ? Car, chose horrible, j’en suis à ne plus compter avec la chute, tant la faute disparait devant l’énormité de la honte ! Tu n’es pas même la femme adultère, tu es la courtisane ; ce que tu as fait de moi, ce n’est pas un mari trompé, c’est le mari d’une femme entretenue, le complice de tes ignominies, le receleur !… Je ne suis pas ridicule, je suis déshonoré ! »

- i Ces cris de douleur n’émeuvent pas Séraphine, et lorsque le pauvre homme lui offre le pardon à la condition de vivre pauvrement du produit de ses appointements de premier clerc, après avoir jeté à l’amant tout ce que possède le ménage, Séraphine refuse avec ces mots effroyables :

— Je ne veux pas être pauvre !…

Pommeau fuit cet intérieur où tout lui crie sa honte, et va demander asile à qui ? A sa pupille, à sa Thérèse Lecarnier ! Le dernier coup l’y attend. L’embarras de Thérèse l’étonné d’abord :