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POMMEAU.


Est-ce que je te dérange ?

THERESE.


C’est que….

POMMEAU.


Tu n’as pas un coin à me donner ? Ce fauteuil me suffira. Pour une seule nuit ! Tu baisses les yeux ?… (Bas à Thérèse) Est-ce que Léon s’y oppose ? (à Léon) Ne me séparez pas d’elle, mon ami, mon fils… (Il ouvre les bras comme pour se jeter dans ceux de Léon. Thérèse, par un mouvement instinctif, l’arrête. Pommeau regarde ; autour de lui, passe sa main sur son visage, les yeux fixés sur Léon, puis : } Ah ! bandit, c’était toi !

Il ne peut tuer le mari de celle qu’il considère comme sa fille. Et il s’en va dans la nuit, seul, écrasé de douleur et de honte, mourir dans quelque coin obscur.

Dans tout le théâtre moderne, il n’est pas de dénouement plus audacieux, plus simple et plus poignant. Montrer le résultat des vices de Séraphine est une leçon autrement puissante que de tuer Olympe.

Telle est cette œuvre admirable. On a reproché à Emile Augier de devoir quelques traits de sa Séraphine à la Mme Marneffe de Balzac. Mais qui donc, ayant écrit après Balzac, ne lui doit pas quelque chose ?

Il y aurait toute une étude à faire sur l’habileté théâtrale d’Emile Augier, habileté bien supérieure, à mon sens, à celle de Victorien Sardou, laquelle n’était qu’une dextérité scribesque de prestidigitateur. Jamais peut-être elle ne fut aussi grande, aussi constante que dans les Lionnes Pauvres. Sans doute, on y regrette une histoire fâcheuse et inutile de portefeuille perdu, sans doute les tirades, et les mots d’esprit du raisonneur sont parfois agaçants, mais, que sont ces légères imperfections en regard de la beauté de l’ensemble ? Aujourd’hui encore, l’œuvre nous paraît audacieuse. Quelle hardiesse ne fallut-il pas pour l’écrire en 1858 ! C’est surtout parce qu’il est l’auteur des Lionnes Pauvres qu’Emile Augier peut être salué comme le Père du Théâtre Contemporain.


BRIEUX.