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l’idée nationale, un immense tract pacifiste, un gros tank contre le militarisme et l’idée de patrie, derniers obstacles que le progrès et le bonheur universels trouvent sur leur chemin. Toutes les sottises et tous les crimes dont Voltaire, dans son œuvre, accuse les prêtres et les dieux, c’est, pour l’auteur de cette Esquisse, la guerre et la patrie qui en sont responsables.

Sans doute, M. Wells ne méconnaît pas les services qu’a rendus la patrie dans le développement humain. Si l’homme, selon le mot célèbre, est un « animal politique, » le progrès pour lui consiste en partie à s’élever par degrés à des formes de groupements, à des sociétés de plus en plus complexes. Familles, tribus, cités, États, Empires, marquent des étapes successives d’un phénomène d’extension croissante. Mais ces cadres à leur tour deviennent trop étroits. Il faut les élargir, leur permettre d’embrasser toute la famille humaine. Cette famille sort tout entière d’un ancêtre commun. Tous les vestiges de l’homme primitif montrent l’unité de sa nature et de son origine. Les variations des races ne sont que le résultat de l’adaptation et du « milieu. » Au point de mélange où nous en sommes, ces nuances tendent à s’effacer. Ce retour à l’unité de la famille humaine est le but et la condition de toute civilisation. C’est la loi que M. Wells croit observer dans tout le cours de l’histoire. Tel est à ses yeux le contenu positif de toutes les religions. Les grands initiateurs, Lao-Tsé, Gautama, Jésus ou Mahomet, n’ont pas eu d’autre objet. Au lieu d’instituer des cultes nationaux, ces grandes révélations ont ceci de commun qu’elles s’adressent à tous les hommes sans distinction de races, se bornant à prêcher l’abdication des égoïsmes, la charité, l’amour, la grande fraternité humaine. En revanche, tout ce qui contrarie la grande loi, tout ce qui divise, tout ce qui limite, tout ce qui est frontière, barrière, obstacle, est le mal, le péché.

De là, dans cette Esquisse, quelques caractères assez nouveaux. Ce livre étant l’histoire de la connaissance que le monde prend de son unité, l’histoire de la genèse de la conscience universelle, on ne sera pas surpris du rôle qu’y tiennent les voyages, le récit des explorations, de ces vastes mouvements de nomades que nous appelons les invasions. Certaines figures, celles d’Hérodote, du grand navigateur Hannon, du chinois Huan-Tchang, du vénitien Marco-Polo, du portugais Magellan occupent dans ce livre une place de premier plan. Ce sont les agents de liaison entre les différentes portions de l’univers. Ces aventuriers, ces curieux ont agrandi la terre, ils ont mis en rapport des mondes qui s’ignoraient. Éloge du voyageur qui devait bien être