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Et cependant, en dépit de cette immense désillusion, qui suivait un immense effort, M. Wells ne perd pas courage. Cette expérience de la Paix, où les hommes ont été trahis par l’insuffisance de leurs chefs, leur laisse pourtant une espérance et une certitude : « Jamais encore, comme cette fois, ils ne s’étaient trouvés en présence de leur communauté d’intérêts et de destinées… » Quoi qu’on fasse, l’ébauche d’un nouvel ordre de choses n’en a pas moins paru « comme l’aurore à travers les volets d’une chambre en désordre. » L’idée de l’identité humaine, qui n’a été longtemps qu’une lueur fugitive, éparse, sitôt éteinte après Bouddha, après Jésus, « comme des reflets de soleil réfléchis par une vitre dans la campagne, au crépuscule, » a gagné désormais tous les hommes.

On ne l’arrêtera plus. L’humanité cessera bientôt de marcher dans son sang, « comme un somnambule qui se blesse dans son sommeil. » La guerre finira. La guerre n’est pas éternelle. Pas plus que la pairie, elle n’est chose primitive. Elle a pris naissance avec certaines organisations sociales, elle passera avec elles. Une nouvelle guerre, avec les ressources de la science, serait le suicide du genre humain. Les hommes reconnaîtront leur folie et ne voudront plus se ruiner en armes pour se détruire. Délivrés de ce fardeau des armements, ils appliqueront tout leur génie aux arts qui embellissent la vie. L’humanité reconnaîtra que les richesses naturelles, comme la science, comme la lumière, sont le bien commun de tous les hommes : elle ne songera qu’à les utiliser. Dans l’anarchie du siècle dernier, sans nulle coordination d’efforts, que de progrès réalisés ! Qu’on songe au gaspillage de forces et de talents, à tous les Lavoisiers, aux Pasteurs, aux Newtons inconnus, sacrifiés en pleine jeunesse, que nous coûte la dernière guerre ! Que ne ferait pas un système où ces forces magnifiques, au lieu d’être broyées, seraient l’objet d’une culture et de soins rationnels ? L’humanité jusqu’à présent a ressemblé « à une poule qui écraserait ses œufs. » La terre pourrait être dix fois plus peuplée qu’elle n’est. Elle multiplierait d’autant ses chances de perfectionnement. Un peu d’organisation supprimerait toute inégalité. Plus de classes inférieures, obligées au travail pour vivre. Les machines se chargeraient de tous les travaux pénibles. Chaque homme donnerait à la communauté quelques heures par jour, ou quelques mois de service, comme nous acquittons le service militaire, et passerait le reste de sa vie dans une liberté idéale, vaquant aux pures occupations de l’esprit et jouissant en paix de la beauté du monde, tandis que le souffle audacieux, le téméraire, inquiet esprit qui vient