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de faire l’homme oiseau, de lui donner des ailes, prenant ce vieux globe pour marchepied, s’élancerait à la conquête des étoiles, pour y poursuivre de monde en monde « l’immense aventure de la vie… »

Ainsi raisonne M. Wells. On ne peut rien contre la foi. Le monde lui paraît si jeune ! A peine sortons-nous de l’âge de pierre. Il y a vingt ans, des peuplades du centre de l’Afrique vivaient encore dans l’état de notre ancêtre primitif. « Il n’y a pas plus de cinq cents ans que le grand Empire des Aztèques ne croyait pouvoir subsister que par des sacrifices sanglants. Tous les ans, à Mexico, on immolait ainsi des centaines de victimes humaines. Le corps était couché en arc sur la pierre arrondie, la poitrine était ouverte avec un couteau d’obsidienne, et le prêtre arrachait tout chaud le cœur de la victime. Le jour n’est peut-être pas loin où nous cesserons d’arracher des cœurs d’hommes vivants sur les autels barbares de nos dieux nationaux. Que le lecteur se reporte aux premières pages de cette histoire : il verra ce que pèsent, dans le cours de l’universelle durée, les difficultés, les misères et les conflits de notre génération. »

On se reporte en arrière : on voit la longueur accablante, l’inconnu de la préhistoire ; on voit le fragile édifice de la civilisation s’élever, toujours précaire, sur une mince couche de quelques siècles, sur un léger humus, une faible épaisseur de quatre ou cinq cents générations, pauvre cendre, pareille aux trente centimètres de terre végétale sur lesquels croissent toutes nos moissons. De moment en moment, se réveille dans nos yeux le regard de la Bête, le farouche et lubrique éclair du chimpanzé ou du gorille. Chacun de nous porte en soi ce revenant des cavernes. M. Wells, qui le dit, rejette cependant la notion du péché. Il croit, — lui, darwinien, — à la bonté de la nature ! La bassesse de nos origines le remplit à la fois « d’humilité et d’une espérance sans bornes. » Tout lui montre, au lieu d’une chute, un progrès continu. Là est toute la nuance qui nous sépare de lui. Je ne vais pas lui opposer une réfutation. Mais, puisqu’il possède un Voltaire dans sa bibliothèque, qu’il prenne la peine, pour se reposer de cette longue histoire, d’en relire fin petit roman. Il est très léger et très court. Il s’appelle : Candide ou l’optimisme.


Louis GILLET.