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le prestige de la Papauté, offensée par les Bourbons dans la personne de Clément XIV et par Joseph II dans la personne de Pie VI, subissaient alors une sorte d’éclipsé : l’Église respirait mal. Son contact avec les intelligences était médiocrement favorisé par un tel essoufflement ; et pour essayer d’escalader l’inaccessible ou de nommer l’ineffable, elles empruntaient des voies qui n’étaient plus celles de l’Eglise, alors même que, dans la ferveur des réunions de confréries, les genoux continuaient de fléchir.

Maistre allait en loge, malgré les prohibitions des papes et malgré la « mauvaise opinion » qu’avait de l’ordre maçonnique l’évêque de Chambéry [1]. Les documents pontificaux, à cette époque, étaient à demi déchus de cette influence qu’à la voix même de l’auteur du Pape, le XIXe siècle leur restituera : se heurtant aux frontières, au lieu de planer au-dessus d’elles, ils étaient comme humiliés par la dure nécessité de cogner à la porte des Parlements pour se faire enregistrer, et l’on s’habituait facilement à ne voir en eux que des opinions de la puissance spirituelle, livrées aux disputes des hommes. Il ne semble pas qu’à aucun moment de sa vie les bulles de Clément XII et de Benoit XIV contre les sociétés secrètes aient inquiété Maistre. En 1810, à Pétersbourg, invité à se rendre en loge, pourquoi refusera-t-il ? Parce que l’empereur Alexandre ne permet ces assemblées « qu’à regret, » et parce que « plusieurs personnes de mérite » les regardent comme une « machine révolutionnaire [2]. » Mais en 1811, dans son quatrième Chapitre sur la Russie, tout en déclarant qu’en temps de fermentation il vaut mieux prohiber toutes réunions secrètes, Maistre maintiendra que la « franc-maçonnerie pure et simple, telle qu’elle existe encore en Angleterre, n’a rien de mauvais en soi, et qu’elle ne saurait alarmer ni la religion, ni l’Etat... L’auteur de cet écrit, insistera-t-il, l’a suivie très exactement et longtemps ; il a joint à son expérience celle de ses amis ; jamais il n’a rien vu de mauvais dans cette association [3]. »

Il ne crut donc pas pécher ni avoir péché contre l’Eglise en

  1. Vermale, op. cit., p. 6, n. 3.
  2. Œuvres, XI, p. 472.
  3. Œuvres, VIII, p. 325-326. Sur les interprétations différentes auxquelles ont donné lieu les constitutions maçonniques anglaises de 1723 et 1738, voir Dudon. Études, 20 décembre 1917, p, 681-707.