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contrat par lequel la nation a transféré son pouvoir au Roi [1].

Or en face de ce Jésuite un théologien se dressa, pour représenter dans sa plus abrupte rigueur la doctrine de l’absolutisme royal : c’était un fils spirituel de la Réforme, le roi d’Angleterre Jacques Ier. Et l’on se tromperait en prêtant à tout le protestantisme français du XVIIe siècle les doctrines d’un Jurieu sur la souveraineté du peuple : ce serait oublier les déclarations théologiques sur le droit divin des rois, faites en 1659 au synode national de Loudun, et le Traité du pouvoir absolu des souverains, que publiait, l’année même de la Révocation de l’édit de Nantes, le pasteur Merlat [2].

Au demeurant, par une construction de l’esprit, analogue à celle que sous nos regards Maistre édifie, on pourrait soutenir, au rebours de Maistre, que les réformateurs du XVIe siècle, ayant trop souvent favorisé la dictature des princes sur leurs Églises, laissèrent ainsi s’éclipser la distinction même entre César et Dieu, apportée dans le monde par le christianisme, et que sur les ruines de cette distinction devaient nécessairement s’épanouir des absolutismes religieux tels que celui de la vieille cité genevoise, des absolutismes politiques tels que celui des Hohenzollern. Et dans ces conclusions, comme dans celles de Maistre, il y aurait une part de vérité, mais rien qu’une part. Car les exactes nuances de l’histoire ne s’asservissent pas forcément aux conclusions du raisonnement ; elle ne serait pas ondoyante et diverse, comme l’homme lui-même, si le jeu des libres volontés y était passivement gouverné par le jeu de la dialectique, tel le corollaire qu’un théorème commande.

Maistre cite parfois Suarez et souvent Bellarmin [3] ; mais par son insistance à présenter le catholicisme comme le champion systématique de la souveraineté politique, il s’apparente

  1. Voir les textes dans Féret, Le pouvoir civil devant l’enseignement catholique (Paris, Perrin, 1888), et l’épilogue de notre livre : Une ville Église : Genève, (Paris, Perrin, 1919). Dès le onzième siècle, le théologien alsacien Manegold, commentateur de la pensée de Grégoire VII, frappe de déchéance le roi qui devient tyran (Fliche, Saint Grégoire VII, p. 105-107. Paris, Gabalda, 1921).
  2. Frank Puaux, Les défenseurs de la souveraineté du peuple sous le règne de Louis XIV, p. 13-14 et 23-25 (Paris, Fischbacher, 1917).
  3. Bellarmin est déjà cité dans l’Étude sur la souveraineté (Œuvres, I, p. 389), et dans une lettre à Blacas, au début de 1812, Maistre dit de lui qu’il « n’a point de supérieur, pas même Bossuet. » (Daudet, Joseph de Maistre et Blacas, p. 154.) Pour Suarès, voir Œuvres, VIII, p. 216.