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qui l’aiment le moins sont forcés d’en convenir, et il y a déjà là deux beaux facteurs de fécondité pour la race et de garantie pour sa vigueur. Je t’ai déjà dit combien visiblement la paix sociale règne ici, cela me frappe et me touche de plus en plus. Elle est faite d’ailleurs à dose égale de la cordialité familière des « dirigeants » et de la fierté des « dirigés. » Le plus humble des paysans entre chez les Ministres à toute heure, sans frapper, est toujours reçu et va au-devant du shake hand qui ne se dérobe du reste jamais, mais cette égalité tout extérieure une fois affirmée, l’homme du peuple témoigne franchement son respect à ceux que la hiérarchie sociale lui a superposés ; seulement, ce qu’il leur donne, c’est de la déférence consentie, sous condition qu’on ne la lui impose pas ; sinon, son poil se hérisserait ferme. Ce peuple-ci est surtout anti-servile et les rapports de maître à domestique y sont tout autres que chez nous : cela est visible aussi entre officiers et ordonnances : et tout cela me ravit. Ce que j’en conclus, par exemple, c’est que, malgré toutes les étiquettes, nous sommes bien le moins démocratique des peuples : jamais un de nos parvenus, bourgeois républicain, médecin radical, avocat socialiste ne tolérerait que Demos lui parlât comme il fait ici.


L’élément le moins patriote est la petite minorité catholique, et cela s’explique très bien. J’ai été amené, je te dirai comment, mais ne te l’écrirai pas, à avoir sur ce point des lumières particulières. Les catholiques, qu’on trouve surtout dans les îles et sur quelques points de la côte Sud, sont d’origine italienne ou franque, épaves des croisades. Sous la domination turque, protégés par les États chrétiens en vertu des « capitulations, » ils jouissaient de privilèges et d’une liberté relative que n’avait pas le Grec, le raia toujours victime, que personne ne protégeait et qui accumulait les rancunes et les haines : il a, du reste, prouvé ce qu’il valait, puisqu’à travers cet abandon et cette tyrannie, il a su rester un peuple et se maintenir, trois siècles durant, assez vivace pour reconquérir son indépendance. Il n’existe pas, je crois, d’autre exemple historique d’une telle ténacité. Or, pendant les siècles d’oppression, le catholique latin protégé lui étalait sous le nez sa situation privilégiée et le raia le méprisait comme le loup traqué de la fable méprise le chien servile et bien nourri. Et, de même que le chien couchant ne