Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/852

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après cela George Sand propose à son directeur de « mettre une note. » Pourquoi ? Non. F. Buloz n’en veut aucune ; il n’y a là rien à expliquer ; d’ailleurs blâmerait-il George pour l’amour et l’admiration des belles choses qu’elle manifeste ? Encore une fois non. Il comprend son admiration, lorsqu’elle va de pair avec « la haine des platitudes, » et il lui rappelle qu’il a « tendrement aimé deux personnes qu’elle connaissait bien, parce qu’il admirait leur esprit et leur imagination naturelle, simple et réelle ; mais l’énormité, la prétention lui vont moins, surtout lorsqu’on veut commander l’idolâtrie. Du reste n’a-t-elle pas adouci ou atténué les passages qui le choquaient trop dans cet article ? Ce qui le choque le plus dans Victor Hugo, le sait-elle ? C’est qu’il n’imprime jamais un mot flatteur à l’adresse de ses rivaux, et qu’il n’apporte, au contraire, aucun scrupule à louer des gens sans talent ou même des malheureux à qui l’on ne doit pas donner la main. Vous allez me dire encore que cela ne fait rien au talent… Je ne suis pas de cet avis ; le talent doit assez se respecter pour être sincère et digne. J’aimerais mieux faire un compliment à Napoléon III qu’à M. de Mirecourt[1]. Mais ne flattons personne, pas même la basse presse ; sans cela, on perd la notion du vrai, et du juste, et du convenable.

« C’est ce qui est arrivé souvent au grand poète, et je dis à dessein grand poète, et c’est assez. Voilà pourquoi il se jette si souvent dans l’énorme, dans l’inhumain, comme disait si souvent le grand Gœthe. Voilà pourquoi aussi il devient si souvent banal avec ses compliments, ses éloges ridicules à de pauvres diables. Puis, pourquoi cette haine de la critique, de la discussion sincère, cette recherche de l’adulation des valets de plume ? Un grand penseur et un écrivain sérieux ne doivent pas craindre la discussion… Cela m’est suspect… Eh bien ! faut-il vous avouer que je regrette deux choses de vous : c’est que vous n’ayez rien écrit à Montégut, qui ne s’en est pas plaint d’ailleurs, à propos de son article sur le Marquis de Villemer[2], et de n’avoir pas trouvé dans votre Lettre d’un voyageur[3] le nom de Planche,

  1. Cet accouplement de Napoléon III et de Mirecourt est un peu déroutant. Mais, pour François Buloz, faire un compliment à l’Empereur, c’est le summum du sacrifice.
  2. Émile Montégut. Le théâtre contemporain : Le Marquis de Villemer, de G. Sand, et l’Ami des femmes, de M. A. Dumas fils. Revue du 15 mars 1864.
  3. George Sand. Lettre d’un voyageur. Lectures et impressions de printemps. Revue du 15 mai 1864. Déjà cité.