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fondrières desséchées où, parmi les dépôts de sel des eaux évaporées, quelques touffes d’herbe rousse ou grise ont de la peine à vivre, un puits, l’habitat incertain d’une tribu errante. Nous savons encore que Charles de Foucauld, épris de la solitude, déjà fiancé avec elle, laissait souvent en arrière son domestique indigène et ses bagages, et gagnait le large, jusqu’à ce qu’il ne vît plus, autour de lui, que le désert. Plus d’une fois, il prit de la sorte une avance de deux journées. Il mangeait ce qu’il avait dans ses poches. La nuit, il se couchait sur le sol, et, longtemps, regardait les étoiles. Peut-être s’exerçait-il à ne pas dormir. Peut-être la crise religieuse que je vais raconter le tenait-elle éveillé, interrogeant, guettant le souffle de Dieu, qui remplit mieux le cœur dans la nuit et le silence. Il aimait les paysages, et donc le ciel étoile, le plus grand de tous. Au matin, il sellait son cheval attaché au piquet, rejoignait son serviteur arabe, prenait des provisions, de quoi vivre un jour ou deux, et repartait.

Ayant traversé le Sud algérien, de l’Ouest à l’Est, il devait, naturellement, aboutir à la côte tunisienne. La dernière oasis qu’il visita fut, en effet, celle de Gabès, toute voisine des plages, chaude et secrète, où l’orge et les légumes poussent sous les arbustes, et les arbustes à l’ombre des hautes palmes. De là, il s’embarqua pour la France.

Revenu à Nice le 23 janvier 1886, après plus de quatre mois d’absence, Charles s’y reposa jusqu’au 19 février. A cette date, il quitta son beau-frère et sa sœur, et vint s’installer à Paris, où il loua un petit appartement au n° 50 de la rue de Miromesnil. La période qui s’ouvre appartiendra au travail et à l’intimité familiale. La famille loin de laquelle il vient de vivre longtemps, l’accueille intelligemment, délicieusement. Rien que de la joie : aucun prêche, aucun reproche, aucun souhait exprimé. On le fête ; on est fier de lui ; il voit la société la plus choisie et la plus sérieuse de Paris. Des hommes, que leur passage au pouvoir a rendus fameux et n’a point compromis, causent devant lui des affaires religieuses et des affaires politiques de la France. Ils sont chrétiens, et ne font pas mystère de leur foi. Charles les retrouve chaque semaine. De douces influences féminines l’enveloppent ; il vit dans l’intimité de parentes qui lui rappellent sa mère, et dont il reçoit, sans qu’elles y songent même, un perpétuel exemple d’esprit, de grâce, de gaité saine et de piété. C’est la comtesse Armand de Foucauld, mère de Louis de Foucauld,