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le futur attaché militaire à Berlin ; c’est Mme Moitessier, et ses deux filles, la comtesse de Flavigny et la vicomtesse de Bondy.

Sophie de Foucauld, tante de Charles, personne d’une grande beauté et dont Ingres a fait deux fois le portrait, avait épousé M. Moitessier, originaire de Mirecourt, et qui avait fait une fortune considérable dans l’importation des tabacs. Elle habitait un bel hôtel, 42 rue d’Anjou, au coin du boulevard Malesherbes, et y recevait beaucoup. Très intelligente, douée d’une volonté à la Foucauld, qui va où elle prétend aller, très femme du monde, connaissant à merveille l’art de faire valoir et de faire vouloir les autres, de paraître intéressée par des discussions dont on n’entend pas tout, de les relancer si elles faiblissent, de marquer sans offenser jamais, d’un mot ou d’un sourire, ce qu’elle n’approuvait pas, elle avait tenu le salon politique d’un des plus jeunes ministres que nous ayons eu, Louis Buffet, cousin germain de son mari, et, qui avait été premier ministre à trente ans. Louis Buffet, Aimé Buffet, son frère, inspecteur des Ponts et Chaussées, Estancelin, le duc de Broglie, étaient demeurés les familiers de la maison. Il y avait les invités de droit, et les autres. Charles était de toutes les « dimanchées » de Mme Moitessier. Plusieurs fois par semaine, en outre, il allait diner rue d’Anjou, à 6 heures, toujours en habit, bien entendu. Rentré chez lui, rue de Miromesnil, il enlevait son habit, endossait une gandourah, chaussait des pantoufles de cuir souple, s’enveloppait dans un burnous, mettait un coussin sous sa tête, et se couchait sur un tapis. Une des remarquables particularités de l’appartement de Charles de Foucauld, c’est qu’on n’y voyait aucun lit. Il n’y en avait point. L’ameublement était celui d’un homme de goût, qui a eu des ancêtres dans l’histoire de France, et dont le rêve est en Orient. Aux murs, pendaient, à côté de portraits de famille peints par Largillière, des aquarelles, des croquis à la plume, représentant des paysages du Maroc ; çà et là étaient accrochées des armes et des étoffes rapportées d’Algérie. La bibliothèque ne renfermait pas un grand nombre de livres, mais la plupart étaient des livres rares, ou élégamment édités. Enfermé là, tout le jour, Charles écrivait, raturait, consultait ses cahiers et ses notes, et rédigeait le livre sévère et magnifique qui allait répandre son nom parmi tous les géographes du monde et même dans d’autres milieux. Se trouvait-il embarrassé, avait-il une recherche à faire, il quittait la table de