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à la prière, ces hommes, prosternés cinq fois le jour vers l’Orient, ce nom d’Allah sans cesse répété dans les conversations ou les écrits, tout l’appareil religieux de la vie musulmane l’avait amené à se dire : « Et moi qui suis sans religion ! » Car les Juifs aussi priaient, et le même Dieu que les Arabes, ou que les Marocains. Les vices qui avaient pu corrompre l’esprit ou le cœur de ces hommes n’avaient pas empêché le témoin méditatif de sentir la grandeur de la foi. De retour en Algérie, il avait même dit à quelques-uns de ses amis : « J’ai songé à me faire musulman. » Propos de sensibilité, que la raison n’avait pas ratifié. Au premier examen, il lui était apparu, comme il en a fait la confidence à l’un de ses intimes amis, que la religion de Mahomet ne pouvait être la véritable, « étant trop matérielle. » Mais l’inquiétude demeurait. Bénie soit-elle ! Car elle est la preuve d’une supériorité chez celui qui l’éprouve, un grand événement dans l’ordre de la grâce, le signe bienheureux qu’une âme échappe à l’indifférence religieuse. Il manquait à ce jeune homme, né dans le catholicisme, de bien connaître cette religion divine, magnifique et solide, et d’en avoir au moins deviné la transcendance, pour revenir à elle, sans hésitation, au moment où la tyrannie de la matière lui pesait par trop. Il était triste, en effet, au fond de son cœur, d’une tristesse ancienne. Il avait eu beau vivre dans le plaisir, elle n’avait fait que s’accroître. Elle l’avait tenu, selon l’aveu qu’il en a écrit, « muet et accablé, pendant ce qu’on appelle les fêtes. » Depuis lors, elle n’avait été dissipée ni par les sciences humaines, ni par l’action, ni par le succès et la réputation. Aujourd’hui, sans doute, il s’était soumis à une discipline de travail, et, par là, il se sentait meilleur que dans le passé, mais non point allégé de ses fautes, non point tel qu’il aurait dû être, bien loin moralement de ces êtres chers qu’il voyait vivre dans sa famille retrouvée, unie, heureuse.

Il lisait beaucoup. Mais une grande lâcheté secrète est en nous, lorsqu’il s’agit de reprendre une règle de vie que nous savons sévère et réprimante. Nous cherchons l’a peu près pour ne pas en venir à l’idéal de perfection, et la nature, frémissante, nous fait demander conseil aux hommes plutôt qu’à Dieu, parce que nous savons que Dieu est exigeant. C’est ainsi que Charles de Foucauld, aux heures où cessait le travail de rédaction de la Reconnaissance au Maroc, ouvrait les livres des