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travail, et se rendait dans une bibliothèque publique, ou chez Duveyrier.

Duveyrier avait été célèbre à vingt ans ; il vivait, depuis lors, enseveli dans cette gloire, incapable de la renouveler. En 1860, à l’âge où les jeunes gens ne sont encore que des bacheliers incertains de la route à choisir, lui, déjà botaniste, géologue, versé dans les langues orientales, civilisé merveilleusement doué pour aborder et se concilier les barbares, il avait fait le voyage, alors périlleux, de Laghouat à El Goléa. Emprisonné par les Ksouriens d’El Goléa, puis délivré, il n’avait profité de sa liberté que pour s’enfoncer dans l’inconnu redoutable du Sahara, pour visiter le Sud de la Tunisie, une partie de la Tripolitaine, et le territoire des Azjer, la plus orientale, la plus hostile également de toutes les tribus Touarègues. Le livre rapporté de là l’avait, très justement, rendu célèbre. Mais abattu par la maladie, condamné par elle à n’être plus qu’un saharien consultant, Duveyrier souffrait, non seulement de ne plus être celui qui repart, et découvre, et accroît sa renommée, mais de voir que la France, diminuée en 1871, et comme doutant d’elle-même, sans perdre le souvenir de l’œuvre qu’il avait faite, ne la continuait pas. Il accueillit affectueusement son émule, l’explorateur du Maroc, se mit à sa disposition, et recommença de voyager, mais de la manière qu’il n’aimait pas : sur les cartes, dans les livres, dans ses souvenirs et ceux des autres.

Lentement, les innombrables documents rapportés par Foucauld devenaient de la science et de la vie.

On ne peut, sans quelque étonnement, assister à cette transformation des habitudes de l’ancien lieutenant de Pont-à-Mousson et de Sétif. D’où venait-elle ? Principalement d’une ambition qui s’était emparée de lui, et qu’il servait avec cette volonté tendue et sans repos qui était la marque originale de Charles de Foucauld, et, on peut dire, de sa race.

Après la publication de ce livre qu’il écrivait, après l’excursion aux Chotts, il était résolu à entreprendre de nouveaux grands voyages. Il ne parlait à personne de ces projets, mais son esprit en était souvent occupé. Une autre pensée l’habitait, et le troublait.

J’ai dit que Charles de Foucauld avait été remué profondément, durant son séjour en Algérie et au Maroc, par la perpétuelle invocation à Dieu qui s’élevait autour de lui. Ces appels