C’est la substitution violente d’un régime à un autre. Une révolution peut être un grand bienfait pour un peuple, si, après avoir détruit, elle sait reconstruire, A ce point de vue, les révolutions d’Angleterre et de France me semblent avoir été plutôt bienfaisantes. Chez nous, la révolution ne peut être que destructive parce que la classe instruite ne représente dans le pays qu’une minorité infime, sans organisation ni expérience politique, sans contact avec les masses. Voilà, selon moi, le plus grand crime du tsarisme : il n’a voulu admettre, en dehors de sa bureaucratie, aucun foyer de vie politique. Et il y a si bien réussi que le jour où les tchinovniks disparaîtront, c’est l’État russe tout entier qui se dissoudra... Ce seront sans doute les bourgeois, les intellectuels, les « cadets, » qui donneront le signal de la révolution, en croyant sauver la Russie. Mais, de la révolution bourgeoise, nous tomberons tout de suite dans la révolution ouvrière et, bientôt après, dans la révolution paysanne. Alors, commencera une effroyable anarchie, une interminable anarchie... dix ans d’anarchie !... On reverra l’époque de Pougatchew et peut-être pis encore !...
Vendredi, 4 juin 1915.
Les Austro-Allemands continuant d’avancer sur la rive droite du San, les Russes n’ont pu se maintenir à Przemysl : la place a donc été évacuée hier.
Depuis les premiers combats du mois de mai sur la Dounaïetz, le nombre des prisonniers laissés par l’armée russe aux mains de l’ennemi s’élève à près de 300 000 hommes.
Dimanche, 6 juin 1915.
L’opinion russe est d’autant plus émue par les défaites de Galicie qu’elle garde peu d’illusions sur les chances d’un rapide succès aux Dardanelles.
Mais, dans toutes les classes du pays et surtout en province, un courant nouveau se dessine. Au lieu de se laisser abattre comme sous le coup des précédents échecs, l’esprit public proteste, s’indigne, tressaille, exige des sanctions et des remèdes, affirme sa volonté de vaincre. Sazonow, radieux, me dit ce matin :