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concilier. L’idée vient de moi ; j’ai été assez heureux pour la faire accepter par le Grand-Duc Nicolas, qui s’est montré une fois de plus admirable de patriotisme et de désintéressement. Ma combinaison consisterait à ce que l’Empereur, tout en prenant le commandement suprême, gardât auprès de lui le Grand-Duc comme Major-général. Voilà ce que j’ai mission de proposer à l’Empereur, de la part du Grand-Duc... Mais vous voyez que Sa Majesté n’est pas pressée de me recevoir. Dès ce matin, à la descente du train, je lui ai fait demander une audience. Il est dix heures du soir. Pas un mot de réponse !... Que pensez-vous de mon idée ?

— En soi, elle me parait excellente. Mais je doute que l’Empereur y acquiesce ; j’ai des motifs sérieux de croire qu’il tient absolument à éloigner le Grand-Duc Nicolas de l’armée,

— Hélas ! soupire le Grand-Duc Paul, je crois comme vous, mon cher ambassadeur, que l’Empereur ne consentira jamais à garder Nicolas-Nicolaïéwitch auprès de lui.

Le Grand-Duc Dimitry jette sa cigarette au loin dans un geste de colère, arpente la pièce à longues enjambées, puis, croisant les bras, il s’écrie :

— Alors, nous sommes perdus ! Car désormais ce seront l’Impératrice et sa camarilla qui commanderont à la Stavka !... C’est navrant !

Après un silence, il se tourne vers moi :

— Monsieur l’ambassadeur, permettez-moi une question. Est-il exact que les Gouvernements alliés soient intervenus ou à la veille d’intervenir pour empêcher l’Empereur de prendre le commandement ?

— Non. La désignation du généralissime est une affaire de souveraineté intérieure.

— Vous me rassurez ! On m’avait dit, à la Stavka, que la France et l’Angleterre allaient exiger le maintien du Grand-Duc Nicolas. Ç’aurait été une faute énorme. Vous auriez détruit la popularité de Nicolas-Nicolaïéwitch et vous auriez eu tous les Russes, moi le premier, contre vous.

Le Grand-Duc Paul ajoute :

— Et puis, cela n’aurait servi à rien. Dans l’état d’esprit où est l’Empereur, il ne s’arrêtera devant aucun obstacle, il ira jusqu’aux mesures les plus extrêmes pour exécuter sa décision. Si les Alliés s’y opposaient, il briserait l’Alliance plutôt que