de laisser contester sa prérogative souveraine, qui se double, pour lui, d’un devoir religieux...
Nous retournons au salon. La princesse Paley me demande :
— Eh bien ! que concluez-vous de tout ce qu’on vous a dit ce soir ici ?
— Je ne conclus pas... Quand le mysticisme remplace la raison d’État, on ne peut plus rien prévoir. Désormais, je m’attends à tout.
Vendredi, 3 septembre 1915.
Deux fois au cours de cet après-midi, la première fois sur le pont Troïtsky, la seconde sur le quai du canal Iékaterinsky, je croise un automobile de la Cour, au fond duquel j’aperçois l’Empereur et l’Impératrice, avec des figures très graves. Leur présence à Pétrograd est si insolite qu’elle fait tressauter de surprise tous les passants.
Les souverains se sont d’abord rendus à la cathédrale de la Forteresse, où ils ont prié devant les tombeaux d’Alexandre Ier, de Nicolas Ier, d’Alexandre II et d’Alexandre III. De là, ils ont été à la chapelle de la maison de Pierre le Grand, où ils ont embrassé l’image du Sauveur, dont Pierre-Alexeïéwitch se faisait constamment accompagner. Enfin, ils se sont fait conduire à Notre-Dame de Kazan, où ils sont restés longtemps prosternés sous l’icône miraculeuse de la Vierge. Toutes ces dévotions prouvent que l’Empereur est à la veille d’accomplir l’acte suprême qui lui apparaît comme nécessaire au salut et à la rédemption de la Russie.
J’apprends, d’autre part, que ce matin, avant de quitter Tsarskoié-Sélo, l’Empereur a reçu le Grand-Duc Dimitry, et qu’il a repoussé catégoriquement l’idée de maintenir le Grand-Duc Nicolas à la Stavka, en qualité de major-général.
Quand je récapitule tous les symptômes inquiétants que j’ai enregistrés ces dernières semaines, il me paraît évident qu’une crise révolutionnaire s’élabore au sein du peuple russe.
A quelle date, sous quelle forme, dans quelles circonstances la crise éclatera-t-elle ? La cause occasionnelle et déterminante sera-t-elle un désastre militaire, une disette, une grève sanglante,