de mes rêves et mon imagination y mêlait à des visions fantastiques de merveilleux concerts.
C’est aux environs de ma sixième année que ma mère posa pour la première fois mes doigts sur notre piano, vieil et brave Pleyel que défendait contre la poussière et l’humidité une couverture de drap bleu doublée de peau. Excellente musicienne, ma chère maman l’était à la manière ou plutôt selon l’esprit classique. A défaut de Jean-Sébastien Bach, alors à peu près ignoré des amateurs, et se défiant de Schumann qu’on traitait de révolutionnaire, ma mère jouait surtout Haydn, Mozart et Beethoven. Elle le jouait bien. Une sagesse souriante, une douce raison, l’amour de la règle et de la discipline ordonnait son jeu comme son âme et comme sa vie tout entière. Elle apportait à nos leçons un soin minutieux. Elle « comptait » tout haut, d’une voix ferme, à peine altérée quelquefois par un léger tremblement d’impatience. Pourtant, en mes jours de paresse ou d’entêtement, elle menaçait de me jeter à la figure le contenu d’un verre d’eau placé sur une tablette à portée de sa main. Vaine menace, que la peur de mouiller mon col, et plus encore de m’enrhumer, détournait infailliblement, — je le savais d’avance, — du visage enfantin où ne se peignait nulle crainte. L’heure passait et quand la leçon était finie, ma chère et scrupuleuse maman ne manquait jamais de me garder encore cinq minutes, afin de rattraper, disait-elle, le temps perdu à tourner les pages.
Premières et précieuses leçons, non pas seulement de piano, mais de musique, dont les meilleurs maîtres ne devaient ensuite que développer, fortifier en leur élève les éléments ou les principes. Ecole sérieuse et douce, où je prenais le goût de la mesure et du rythme, d’un jeu sans mollesse comme sans dureté, l’habitude d’un style sans mièvrerie, et la crainte salutaire de la pédale, cette ouvrière de trouble et de confusion. Quelquefois mes poignets, fatigués, fléchissaient. Ma mère les relevait, les soutenait un instant. J’aimais sentir contre eux la fraîcheur et la finesse de ses doigts. A la fin de la leçon, quand la leçon avait été bonne, nous exécutions à quatre mains un ou deux morceaux d’une symphonie de Haydn. Sur la couverture jaune du volume, aux quatre coins, se voyaient les médaillons de Haydn lui-même, de Mozart, de Beethoven et de Weber. Et moi, que ne voyais-je pas dans les allegro dans les andante de