Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Chasse ou de la Surprise, de Roxelane ou de la Reine de France ! Les enfants commencent par aimer la musique qui leur raconte des histoires. Les enfants n’ont pas si grand tort. On assure que Beethoven se proposait volontiers un sujet, ou un programme. Un jour il répondit à Schindler, qui lui demandait ce qu’il avait voulu dire dans une de ses sonates (Quasi una fantasia) : « Lisez la Tempête de Shakspeare. » Un été, mes grands parents m’emmenèrent à la campagne, sur les bords de la Seine. Là, quand je jouais une petite pièce de Dussek intitulée : Ma barque légère, j’y trouvais et je tâchais d’exprimer par mon jeu le courant, le murmure et la fraîcheur de la rivière, en un mot toute la poésie que Haendel lui-même ne se flatta sans doute jamais de mettre en ses « musiques sur l’eau. »

Aux champs, pendant les vacances, une sœur de mon père s’intéressait à ce qu’on appelait mes « dispositions. » Musicienne et pianiste autant que ma mère, elle l’était autrement : avec moins de style et de goût, plus de passion et de fantaisie. Un beau désordre lui paraissait le principal effet de l’art. Le tempo rubato était son mouvement favori. Aussi la sagesse maternelle craignait-elle pour mes commencements, sa romantique influence. Ma tante était belle de visage. Plus admirable encore, disait-on, chaude et profonde comme son regard avait été sa voix de contralto. Mais depuis la mort de ses deux fils elle ne chantait plus. Cette voix muette, mais non pas morte, cette voix que je savais toujours vivante, et vibrante, avait pour moi l’attrait d’une chose mystérieuse et presque défendue, un charme caché que je rêvais toujours de surprendre. Le soir, dans le salon obscur, près de la fenêtre ouverte sur le jardin, j’essayais timidement au piano les premières mesures d’un de ces airs fameux, Casta Diva, ou la romance « du Saule, » que ma tante avait chantés naguère. Elle s’approchait à pas lents, posait sa main sur mon épaule, et j’espérais un peu. Mais la douleur maternelle était la plus forte. La belle voix meurtrie lui demeurait fidèle et, sous les doigts de l’enfant encore une fois déçu, la ritournelle inutile achevait de mourir.

Dans les papiers laissés par Gounod j’ai trouvé cette note, à la date du 28 avril 1869 : « C’est demain la première communion d’Henry de B... J’y vais. » C’était aussi la mienne. Il y vint en effet. J’ai déjà raconté notre première entrevue. Elle n’eut rien de banal. A la sortie de l’église Saint-Thomas d’Aquin, mon père