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de confier le soin à nos troupes. Après ce qu’ils avaient souffert durant l’occupation de leur pays par les armées austro-allemandes, il était à prévoir que les Roumains apporteraient avec eux des sentiments tout différents de ceux qui auraient animé des soldats originaires de Touraine ou de Bourgogne. Ce n’est pas seulement le bolchévisme, mais la Hongrie tout entière qui fut terriblement mise à mal. Les Magyars prétendent qu’à elle seule cette invasion leur a coûté autant que les quatre années de guerre. Aussi ne cessent-ils de nous reprocher, à nous autres Français, de ne pas leur avoir épargné cette épreuve. Et pour comble d’ironie, les Roumains nous gardent quelque rancune de les avoir sommés, un jour, en termes assez énergiques, d’abandonner le territoire que nous leur avions laissé envahir !...

Bêla Kun avait perdu la partie. Le 1er août, à trois heures, il rassembla les cinq cents membres du Conseil des Soviets. « Les prolétaires, s’écria-t-il, se sont montrés indignes de la révolution. Ils ont lâchement trahi la confiance que nous avions mise en eux. Pour le moment, il faut céder à la nécessité, mais je reviendrai bientôt. Nous ne faisons que remettre à plus tard l’avènement de l’ère communiste, aux jours où le prolétariat sera mieux préparé à recevoir nos idées !... » On dit qu’à ce moment il pleura. Mais l’heure n’était plus, maintenant, ni aux discours ni aux larmes. Les Roumains approchaient. Un train spécial l’attendait, lui et ses amis, à la gare. Il s’empressa d’y prendre place, avec Pogany, Kunfi, Amburger et les autres commissaires juifs du peuple. Seuls, les commissaires chrétiens restèrent à Budapest, dans le gouvernement socialiste qui prenait la suite des affaires, et où nul Israélite n’avait brigué le moindre portefeuille.

Bêla Kun passa la frontière, sans être autrement inquiété. Il arriva à Vienne, où le gouvernement à demi bolchéviste qui se trouvait au pouvoir, l’interna pour la forme. Quelques mois plus tard, il s’évadait et gagnait l’Allemagne sous un faux nom. Au moment où il allait s’embarquer dans un port de la Baltique, la police l’arrêta. Le gouvernement de Budapest réclama son extradition : elle ne lui fut pas accordée. Bela Kun alla rejoindre Lénine et Trotzky à Moscou. A l’heure où j’écris ces lignes, il préside à Odessa, avec une dureté féroce, la Commission chargée de maintenir la Russie du Sud sous la tyrannie bolchéviste.