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rien que sa voix. Nous en étions arrivés, tous les deux ensemble, — et ce n’était pas sa faute, — à ce passage :


Maudites soyez-vous, ô voluptés humaines !
………………..
Maudit soit le bonheur, maudite la science,
La prière et la foi !


Sur l’avant-dernier mot : la prière, mon camarade baissa les yeux et joignit les mains. Comme je lui demandais la raison de cette attitude, il me répondit : « Parce qu’il y a : la prière. « Avec précaution, car l’espèce chantante est irritable, je lui fis observer que d’abord il y a maudite. Je crus m’apercevoir que mon observation ne changeait rien à ses convictions intimes, et ce jour-là, nous ne lûmes pas plus avant.

Un autre, non moins ténor, travaillait le rôle d’Éléazar, dans la Juive. Afin qu’il prêtât au personnage le caractère de sombre exaltation et de fanatisme qui convient, on s’efforçait de lui représenter l’époque et le « milieu » de l’histoire, et qu’elle se passe en des temps très anciens : « Oui, je sais, » répliqua-t-il avec un fort accent du Midi, j’ai vu sur la partition. C’était en 1835. »

En 1876, on donna comme morceau de concours aux élèves pianistes le premier allegro de la sonate op. 111, de Beethoven. Pour de très jeunes gens, c’était au moins aussi difficile à comprendre que la Juive. Elle fait partie, cette trente-deuxième et dernière sonate, de celles qu’on désigne moins par leur tonalité que par leur « numéro d’œuvre. » Et rien que cette désignation nous paraissait en quelque sorte introduire et ranger l’op. 111 dans l’ordre, purement idéal, de l’abstraction et des nombres. La première rencontre avec le fier chef-d’œuvre nous interdit un peu. Chacun de nous avait peine, je ne dis pas à pénétrer, mais à concevoir seulement la « hauteur, la largeur, la longueur et la profondeur de ce mystère. » Nous aussi, nous demandions : « Sonate, que me veux-tu ? » Nous ne savions pas trop ce qu’une telle sonate pouvait bien nous vouloir et surtout vouloir de nous. Mais notre maître le savait, lui. Il le savait, comme toutes choses, comme toutes les choses de la musique, par l’intelligence et par le sentiment, ces deux modes du savoir. Et peu à peu, dans la mesure de nos forces, il nous initiait aux éléments de sa double science. Avec lui, par lui, l’œuvre s’éclairait d’un