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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/693

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en négligé du matin, et plus curieux encore, semblait échappé d’un conte d’Hoffmann ou d’un roman de Balzac.

Plus le concours approchait, plus se multipliaient ces leçons à domicile. Marmontel y ajoutait, pour nous habituer au public, des épreuves préparatoires. Elles avaient lieu dans la salle Erard. Là nos familles, nos amis concevaient leurs augures. Les paris étaient ouverts et les favoris désignés. Il arrivait parfois que le premier prix fût décerné d’avance et que le jury, deux ou trois jours après, n’eût qu’à ratifier le jugement populaire. Ce fut le cas pour le jeune, tout jeune Alphonse Thibaud, frère de Jacques, le grand violoniste. En lui seul, et du premier coup, après une seule année d’école, le redoutable op. 111 nous parut, même à nous, ses condisciples et ses concurrents, trouver un digne interprète.

Enfin, un matin de juillet, au nombre d’une vingtaine : les uns, presque des enfants encore, en culottes courtes et col marin, d’autres en jaquette, d’autres, déjà presque des messieurs, en frac, nous sommes enfermés dans le foyer des artistes de la Société des Concerts, attendant que s’ouvre, devant chacun de nous à son tour, la petite porte de la scène. Cette scène, que de fois, le dimanche, nous l’avions vue occupée tout entière par le célèbre orchestre, illuminée ainsi que la salle, comme pour une fête ! Maintenant il y faut paraître tout seul, notre maître seul nous suivant, et cela sous le demi-jour avare, froid et presque funèbre qui tombe du plafond vitré. Funèbre lui-même, dans la grande loge centrale, Ambroise Thomas préside l’impassible jury. Le morceau de concours achevé, l’on passe à la lecture d’un autre morceau, composé pour la circonstance, manuscrit, et semé à dessein d’écueils harmoniques, enharmoniques, pour la plupart d’ailleurs, à cette époque du moins, assez peu redoutables. Avant cette dernière épreuve, du haut de la loge, une voix lamentable laisse tomber ces mots : « Marmontel, voilà le mouvement, » que suivent trois ou quatre battements du métronome. Au cours de l’année, on n’entendait pas souvent notre taciturne directeur. Quelquefois, dans les couloirs ou dans la cour, nous le rencontrions marchant la tête baissée et son manteau, — dont il ne passait jamais les manches, — jeté sur ses épaules. Avec ses longs cheveux, ses yeux enfoncés, il nous rappelait Verdi, mais un Verdi pour ainsi dire éteint. La mélancolie d’Hamlet semblait avoir fait de ce front son trône sombre. Nous