L’opérette régnait alors sans partage à l’Opéra du Caire et c’était aux seules héroïnes d’Offenbach, la Grande-Duchesse ou Boulotte, que, du fond de leurs loges voilées de guipure, les dames des harems adressaient leurs applaudissements. Au bord du Nil pourtant, parmi les ruines de Thèbes, je ne manquai pas de me rappeler Aida, surtout le début du troisième acte, le prélude nocturne et scintillant, la lointaine prière des prêtres, enfin, doucement bercée par les violons tremblants et tremblante elle-même, la nostalgique rêverie de la fille d’Amonasro. Je trouvai que la musique ressemblait au paysage, à cette nature que le musicien, sans l’avoir vue, avait devinée. Aussi bien Verdi, près de composer cette page, écrivait lui-même : « En rêvant un peu, avec un souvenir pour les rives natales, on pourrait faire un petit morceau calme et tranquille, qui serait un baume à ce moment-là. »
Parmi les « sensations d’Italie, » comment n’y en aurait-il pas de sonores ? C’est, par une soirée divine, la traversée de Sorrente à Capri, au bruit des rames, au chant des rameurs. C’est une semaine à Pompéi. Le gîte était médiocre, mais le vieux Pleyel encore jouable et la fille de l’hôte bien jolie, quand le soir, à l’heure où le Vésuve s’allume, elle chantait, accompagnée par le jeune musicien de France, les plus récentes chansons de Piedigrotta. Les premières leçons de Rome furent plus austères : leçons d’harmonie, que me donnait à la villa Médicis mon ami Lucien Hillemacher ; leçons de musique et de poésie comparée dans certaine chambre d’étudiant de la via Gregoriana où Dante et Schumann, le Schumann du second Faust, me découvraient les beautés inégales, mais fraternelles, de leurs deux Paradis.
…………………
Schumann ! C’est un peu lui, si c’est une étude à lui consacrée, qui m’entrouvrit, — il y a trente-six ans ! — la porte de la Revue des Deux Mondes. Une chère amitié, plus secourable encore, acheva de me l’ouvrir toute grande. Je la franchis avec une joie où se mêlait un peu d’inquiétude. Mais le contentement l’emportait. J’allais enfin pouvoir suivre le conseil de l’oracle à Socrate et ne plus faire que de la musique. Charles Buloz m’y invitait avec bienveillance et Brunetière lui-même ne s’y opposait point. Je dis lui-même, à cause de cette phrase,