Tandis qu’il parle, on s’avise d’une chose assez curieuse : c’est que Nice a disparu !... Est-ce un hasard heureux, est-ce un mirage, provoqué par la puissance évocatrice du conteur ? Ce qu’on aperçoit, à la place où devrait être Nice, dans une trouée de verdures au bout d’une allée de troènes, entre les feuillages légers des amandiers, des oliviers, des lilas lilas et la masse plus compacte des cerisiers, c’est une ville d’Orient : des tours sarrasines, carrées, crénelées ; des dômes blancs, des terrasses plates, — un Orient de pacotille, sans doute, mais qui, dans l’embrasement de la lumière, fait illusion. Puis, plus loin, montant jusqu’à l’horizon, le voile tendu de la mer immobile et bleue, fendu çà et là par l’étrave des caps. Sur le plus proche de ces promontoires, une ville échafaudée, d’un blanc laiteux et d’un rouge brique, puis à l’extrême bout du dernier, à point pour relever sa courbe fléchissante, un minaret blanc et mince, — enfin la mer illimitée. Qu’est-ce que cela ? Tout simplement les villas du Mont-Boron et le phare du cap Ferrat ? Si l’on veut ! Mais l’imagination peut s’en servir pour pérégriner au loin et à l’infini...
De même, à nos pieds, sous notre main, tout parle ici de l’Antiquité classique. D’abord, le sobre décor et les menus objets rassemblés dans le cabinet de travail où M. Louis Bertrand a écrit la plus grande partie de ses livres : une Victoire de Samothrace, le stylet de Flaubert, quelques débris de fouilles africaines, la lampe à la croix ansée, la lampe au poisson, venues sans doute de Carthage, et, aux murs, quelques-unes de ces admirables vues de la Grèce que l’intrépide explorateur du Taygète, M. Frédéric Boissonnas, et son ami, M. Daniel Baud-Bovy, ont exécutées. Et sur tous les meubles, éparses, des photographies représentant les ruines de l’Afrique romaine, devenue l’Afrique française, — la moisson que M. Louis Bertrand a rapportée de son dernier voyage. « C’est le plus bel ensemble de ruines romaines qui soit au monde, s’écrie-t-il ; elles sont à nous et on ne les connaît pas ! » Il les glisse sous vos yeux et vous invite à partager son enthousiasme. Et voici, évoquées par la magie du gélatino-bromure, mais bien plus encore par celle de sa parole, les colonnes ou les frontons de Cherchell, l’ancienne Césarée décorée par le roi Juba, ou bien de Khémissa, l’ancienne Thubursicum, le petit temple capitolin de Djemila, l’ancienne Cuicul, l’Arc-de-Triomphe d’Haidra, la voie triomphale