Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/822

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conquêtes de notre sensibilité, de toute « sensiblerie ! » Une sensiblerie qui ouvre la cage où sont enfermées des bêtes féroces pour ne plus les entendre gémir, et leur livrer des êtres humains, des femmes et des enfants, est cruauté pure. Sachons imposer aux férocités et aux bestialités toujours prêtes à se déchaîner sur le monde les barreaux de fer qui protègent et, pour cela, soyons de fer, s’il le faut, comme les barreaux. Telle est, si je ne me trompe, la pensée de Louis Bertrand.

Elle est encore très perceptible, cette pensée, et tout inspirée par le sentiment des réalités, quand il aborde le domaine religieux. Dès ses premiers romans africains, il éprouve et fait éprouver combien la religion est l’âme des nationalités. Ce qui divise les Musulmans des Chrétiens, est, en un sens aussi, ce qui les rapproche. Ils ne se comprennent guère, pour le peu qu’ils se comprennent, que comme attachés à des cultes différents. Puis, peu à peu, l’auteur de Saint Augustin s’aperçoit que, de nos jours comme aux temps où s’écroulait l’Empire romain, les philosophies peuvent bien servir à se réfuter ou à se perfectionner les unes les autres, mais qu’en face de la Barbarie, il n’y a que le Christianisme qui se tienne debout. Enfin, le jour arrive où les voix de la tradition et du pays natal parlent et l’appellent à la foi de ses pères. Il examine alors ce qui l’en a séparé jusqu’à ce jour et trouve que c’est bien peu de chose : des hypothèses d’une science toujours en mouvement, des théories que ne confirme aucune expérience positive, rien de démontrable, des « résidus de vieilles idéologies. » Sans le moins du monde attribuer à son acte « une valeur exemplaire, » il revient donc, pour sa part, à l’enseignement de l’Église. Et, après l’exaltation des énergies françaises, et le sens de l’Ennemi, c’est surtout le bienfait du Catholicisme qu’annoncent ses derniers ouvrages, ceux qui se sont, dans ces derniers temps, le plus largement répandus.

Ainsi, l’œuvre de Louis Bertrand est née en Afrique, mais de parents classiques et lorrains et d’une tournure d’esprit à la fois critique et enthousiaste, qui lui est très particulière, — laquelle il eût portée aussi bien au Pôle nord que sur les routes du Sahel. On a souvent expliqué cette œuvre par l’Algérie, mais l’Algérie toute seule n’explique rien : combien d’écrivains y ont voyagé ou même habité, qui n’en ont rien tiré de semblable à Pépète ou à Saint Augustin ! Il y fallait, de plus, la forte culture de l’humaniste, le patriotisme en éveil du Lorrain et des dons