de visuel et d’imaginatif ardent à s’extérioriser. Sans une forte éducation latine, Louis Bertrand eût bien été capable de brosser les tableaux les plus éclatants ou les plus subtils, comme un Chateaubriand ou un Fromentin : il n’eût point fouillé le sol africain, déchiffré avec avidité ses inscriptions, tiré de ses ruines un Saint Augustin ou un Sanguis Martyrum, Sans ses origines lorraines, et d’une terre souvent piétinée par l’invasion, ce qu’il a appelé l’Éternel champ de Bataille, il n’eût point acquis, à ce degré, le Sens de l’Ennemi, dénoncé de si loin ses manœuvres, vu si vite et si bien ce qui a échappé à un Hugo, à un Quinet, à un Renan, à un Michelet... Enfin, pour prendre position dans la bataille des idées comme il l’a fait, il fallait une aptitude singulière et comme un besoin impérieux de réagir contre les théories au contact des réalités, et le goût d’annoncer hautement ses découvertes, — quelque scandale qui dût s’en suivre dans ces Eglises orthodoxes que sont les Universités. C’est par quoi il semble qu’il ait dû se concilier, tout de suite, les sympathies de Brunetière...
Mais avec tout cela, s’il n’eût pas possédé les dons innés de l’artiste littéraire, cette extrême acuité d’observation, qui voit le détail avec un œil d’oiseau, et l’ensemble sous l’angle largement ouvert d’un Tintoret ou d’un Véronèse, et, en même temps, un pouvoir Imaginatif et reconstructif capable de créer des êtres et de manœuvrer des foules, les circonstances de sa vie ou les modalités de son caractère n’eussent servi de rien. Il n’aurait pas donné à ses conceptions la couleur qui séduit, le mouvement qui entraîne, au total, la vie qui circule si abondamment et jusque dans les moindres veinules de ses figures. Ce qui sauve le romancier, ce sont les êtres qu’il a fait vivre. S’ils vivent réellement dans les mémoires, l’œuvre elle-même vivra. Tous les éléments analysables et explicables, qui constituent une œuvre d’art ne sont rien, ou presque rien, sans le don, qui, lui, ne s’explique pas. Et c’est pourquoi, toute grande œuvre, au fond, est inexplicable.
FIDUS.