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Le coup d’État l’en fît sortir. La légende napoléonienne avait, de 1848 à 1851, porté le neveu à l’Empire. Ce jeune homme, fort audacieusement, avait, dès 1840, tenté de disputer à la dynastie d’Orléans les plumes de l’aigle dont elle se parait. Il avait revendiqué au nom du sang le prestige usurpé. Et contre les conservateurs au pouvoir avec Guizot, il avait entendu restituer à son oncle le caractère que jadis les libéraux de 1824 lui avaient attribué : les Idées napoléoniennes, telles que le jeune Louis-Napoléon les tirait de l’évangile de Sainte-Hélène, c’étaient des idées de gauche. Napoléon redevenait l’homme de la Démocratie autant que de la Nationalité, et c’était exactement l’homme que 1848 avait acclamé. « La France s’ennuie ! » s’était écrié Lamartine ; en réalité, elle éprouvait une nostalgie de gloire plus que de liberté ; de fait, la démocratie montait à l’assaut, mais une démocratie romantique, toute pénétrée de ce napoléonisme particulier qu’avaient créé tant de poètes et de romanciers. Louis-Napoléon fut porté à la présidence par un plébiscite en partie préparé par la poésie.

La pire aventure fut, pour le souvenir du grand Empereur, le rétablissement de l’Empire.

L’aventure fut même double. Si paradoxale que paraisse d’abord cette constatation, il est peu niable que le nouveau régime ne fût à peu près aux antipodes des idées du souverain qui était censé y présider. On sait le mot de Napoléon III à Carpeaux : « Ici je n’ai guère de crédit. » Napoléon III était un empereur de gauche ; son gouvernement fut de droite. Disons mieux : Napoléon III était napoléonien presque seul dans son gouvernement ; je veux dire qu’il était presque seul à avoir souci des idées napoléoniennes. Un des plus illustres tenants du régime, Sainte-Beuve, a pu fort nettement écrire en 1869 : « Nous n’avions si vivement épousé le second Empire que parce qu’il s’annonçait comme devant différer notablement du premier. » Ce gouvernement conservateur et autoritaire cependant ne pouvait sans imprudence répudier le patronage du « grand homme » qui avait mis la couronne dans la famille. Il s’institua donc une sorte de culte officiel autour de la figure impériale. Des messages du souverain aux harangues des ministres, des discours des préfets aux mandements des évêques. Napoléon Ier