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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/84

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un émule, à ce point qu’on en souriait. Une grande crise, celle de juillet 1840, nous mettait en face de l’Europe coalisée ; Thiers préparait la guerre ; il fallait que ce fût celle des peuples contre les rois ; il appela à la rescousse le souverain des peuples, Napoléon. Il fit voter le retour des Cendres : le grand animateur d’énergie serait là, au cœur de la France. Quand « les Cendres » arrivèrent, la crise était conjurée ; Thiers avait été sacrifié à la paix, — raisonnablement. La France cependant s’en sentait humiliée. Le retour des Cendres fut la manifestation exaltée de sa secrète fureur. Celle-ci grondait avec l’amour dans le Paris du 15 décembre. Louis-Philippe lui-même espérait que cette satisfaction opérerait. Devant le Roi des Français, un chambellan, annonçant l’entrée du cercueil sous les voûtes des Invalides, cria : « L’Empereur ! » Ainsi Napoléon grandira toujours de nos humiliations. De quoi ne grandira-t-il pas ?

Thiers, « revenu à ses chères études, » les poussait activement. Alors parurent coup sûr coup, de 1845 à 1848, les premiers tomes du Consulat et de l’Empire. L’œuvre a vieilli ; elle a, sur certains points, croulé sous la critique historique ; des parties sont toutes à refaire ; elle est parfois très faible, parfois tout à fait faussée ; la documentation en est inégale et les préoccupations de l’homme d’Etat ont parfois trop influencé les jugements de l’historien ; telle quelle, elle est, — très précisément dans ses premiers volumes, — très belle, parce que, par ailleurs, elle est sortie d’un grand labeur soutenu par une grande passion. Elle fut, elle aussi, pour beaucoup de gens, une sorte d’Evangile ; la figure de l’Homme n’était pas tout à fait exacte, parce qu’incomplète ; néanmoins elle se dressait, si prenante que la légende même parut, en cette première rencontre avec l’histoire, ne rien perdre au contrôle. Ce qui saillait, c’était le « Grand Soldat. » Sans doute Thiers corrigeait-il jusqu’à ses victoires, mais, s’étant donné cette satisfaction, il les contait avec un frémissement d’admiration, visible sous l’affectation parfois puérile de gravité sereine et un peu protectrice qui était le ton de l’ouvrage. Plus tard, exaspéré par le 2 décembre, il oubliera qu’il a loué sans réserves et fera, en 1862, le bilan des « six grandes fautes : » ses conclusions se trouveront aussi infiniment plus sévères que ses prémisses : elles ne pourront détruire l’effet jadis obtenu. Il semblait bien que Napoléon, vers 1848, fût entré dans l’histoire et, comme dans la légende, en triomphateur.