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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/99

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donnait mon travestissement. Musulman, il eût fallu vivre de la vie commune, sans cesse au grand jour, sans cesse en compagnie ; jamais un moment de solitude ; toujours des yeux fixés sur soi ; difficile d’obtenir des renseignements ; plus difficile d’écrire ; impossible de se servir d’instruments. Juif, ces choses ne devenaient point aisées, mais étaient d’ordinaire possibles.

« Mes instruments étaient une boussole, une montre et un baromètre de poche, pour relever la route ; un sextant, un chronomètre et un horizon à huile, pour les observations de longitudes et de latitudes ; deux autres baromètres holostériques, des thermomètres fronde et des thermomètres à minima pour les observations météorologiques...

« Tout mon itinéraire a été relevé à la boussole et au baromètre. En marche, j’avais sans cesse un cahier de cinq centimètres carrés caché dans le creux de la main gauche ; d’un crayon long de deux centimètres, qui ne quittait pas l’autre main, je consignais ce que le chemin présentait de remarquable, ce qu’on voyait à droite et à gauche, je notais les changements de direction, accompagnés de visées à la boussole, les accidents de terrain, avec la hauteur barométrique, l’heure et la minute de chaque observation, les arrêts, les degrés de vitesse de la marche, etc. J’écrivais ainsi presque tout le temps de la route, tout le temps dans les régions accidentées. Jamais personne ne s’en aperçut, même dans les caravanes les plus nombreuses ; je prenais la précaution de marcher en avant ou en arrière de mes compagnons, afin que, l’ampleur de mes vêtements aidant, ils ne distinguassent point le léger mouvement de mes mains ; le mépris qu’inspire le Juif favorisait mon isolement. La description et le levé de l’itinéraire emplissaient ainsi un certain nombre de petits cahiers ; dès que j’arrivais en un village où je pouvais avoir une chambre à part, je les complétais et je les recopiais sur des calepins qui formaient mon journal de voyage. Je consacrais les nuits à cette occupation ; le jour, on était sans cesse entouré de Juifs ; écrire longuement devant eux leur eût inspiré des soupçons. La nuit ramenait la solitude et le travail.

« Faire des observations astronomiques fut plus malaisé que de relever la route. Le sextant ne se dissimule pas comme la boussole. Il faut du temps pour s’en servir. La plupart de mes hauteurs de soleil et d’étoiles ont été prises dans des villages.