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III. — L’ENFANCE. — QUELQUES ERREURS DE VOCATION

Où fit-il ses classes ? « Sous des maîtres de campagne, dit l’abbé d’Olivet, qui ne lui enseignèrent que du latin. » En effet il ne sut jamais le grec, ou du moins ne le sut pas assez pour lire les textes dans l’original. Platon qu’il devait tant aimer, il ne le connut que par des traductions latines ou françaises.

Des témoins dignes de foi affirment qu’ils ont eu entre les mains un certain exemplaire de Lucien, dont on ignore, du reste, ce qu’il est devenu ; sur la garde intérieure du volume ils ont lu ces mots : de La Fontaine bon garçon fort sage et fort modeste ; puis sur une des pages du texte, Ludovicus Maucroix. On en a conclu que La Fontaine fut le condisciple de Louis Maucroix et probablement aussi de son frère François. La Fontaine et Maucroix se tutoyèrent toute leur vie, et ce tutoiement, peu ordinaire au XVIIe siècle, fait croire que les deux amis se connurent dès le collège. Cette mention nous révèle encore qu’aux yeux de ses camarades, La Fontaine passait pour un « bon garçon, fort sage et fort mo-deste. » Modeste et bon garçon il le fut durant toute son existence ; quant à la sagesse, nous verrons.

La Fontaine étudia-t-il à Reims ou à Château-Thierry ? Consolons-nous de l’ignorer. Nous savons seulement que de ce temps-là il a gardé un amer souvenir. Dans la fable de l’Écolier, le Pédant et le Maître d’un jardin, il a mis un accent de colère, presque de haine, qui ne lui est point habituel. Ce « bon garçon » dut être un écolier très malheureux, s’il a été dès son jeune âge, ce qu’il fut toute sa vie, rêveur, distrait et ami de sa liberté. Un enfant d’un tel caractère est une victime désignée à la méchante humeur des maîtres et à la cruauté des camarades. Voyez comme il se venge.


Certain Enfant qui sentoit son collège,
Doublement sot et doublement fripon
Par le jeune âge et par le privilège
Qu’ont les pédants de gâter la raison...


Et les derniers vers de la fable :


Et ne sais bête au monde pire
Que l’Écolier, si ce n’est le Pédant.
Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire,
Ne me plairoit aucunement.