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parvint au salon, il n’en pouvait plus : il avait été presque étouffé. Je ne sais pas comment l’escalier et la rampe ont pu résister au poids considérable et à la presse qu’ils eurent à supporter pendant quelques moments. Quelle journée ! quelle journée extraordinaire ! Il était à peu près dix heures, à ce que je puis me rappeler.

Quand l’Empereur eut reçu différents personnages, tant civils que militaires, et qu’il eut diné, tout rentra dans l’ordre et le calme ; et de la multitude qui l’avait accompagné, il ne resta que quelques individus qui stationnèrent une partie de la nuit devant l’auberge.

Nous apprîmes que le général Marchand, se voyant dans l’impossibilité de résister à l’Empereur, avait pris le sage parti de s’en aller plutôt que de violer le serment qu’il avait prêté aux Bourbons. Il avait, dit-on, demandé en grâce qu’on n’ouvrit pas les portes avant qu’il ne fût sorti de la ville.

Le lendemain, l’Empereur fit séjour. D’une part sa Garde avait besoin de repos, et de l’autre il avait les autorités à recevoir, et à passer en revue les cinq à six mille hommes qui composaient la garnison. De bonne heure toute la popu-lation fut sur pied, les couleurs nationales flottèrent de tous côtés et tout ce qui était militaire ou agent du Gouvernement porta la cocarde tricolore.

La revue que passa l’Empereur fut très longue. N’étant pas de service ce jour-là pour le dehors, je ne sais ce qui s’y est dit ni ce qui s’y est fait. Après la revue, plusieurs corps se mirent en marche pour Lyon.

Je me rappelle que, dans la journée du 8, l’Empereur reçut la visite de son ancien professeur de mathématiques. C’est moi qui l’annonçai. C’était un homme grand et maigre, portant perruque. Il paraissait avoir soixante-dix ou douze ans, mais droit encore. Il était vêtu très modestement. Dès que l’Empereur sut la visite de cette personne, il alla à sa rencontre et tous deux, se prenant à bras le corps, s’embrassèrent avec effusion, se disant tout ce qu’une ancienne et affectueuse amitié peut suggérer. La porte ayant été refermée, je ne pus entendre la conversation des deux amis. Longtemps il restèrent ensemble. L’émotion qu’avait ressentie le vieux professeur avait été si profonde durant l’entretien, qu’en sortant, il avait la figure toute rayonnante de joie et des larmes dans les yeux. C’est une de ces cir-constances