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mais s’il en mangeait, ce n’était que fort peu ; d’une poire ou d’une pomme, par exemple, il n’en prenait qu’un quartier ; du raisin, qu’un petit grappillon. Ce qu’il aimait beaucoup, c’étaient les amandes fraîches. Il en était tellement friand, qu’il mangeait presque toute l’assiettée. Il aimait aussi les gaufres roulées, dans lesquelles on avait mis un peu de crème. Deux ou trois pastilles étaient tout ce qu’il prenait de la sucrerie. Après ses repas, déjeuner ou diner, on lui donnait un peu de café, dont il laissait souvent une bonne partie. Jamais de liqueurs. Étant à bord du Northumberland, à la table de l’amiral, chaque jour, au diner, on lui offrait un petit verre d’une liqueur quelconque ; rarement il y portait les lèvres ; il se plaisait seulement à en aspirer le parfum.

Sa nourriture avait été à Paris ce qu’elle était à Sainte-Hélène ; mais ici manquaient la qualité, la variété des mets et leur recherche. Ce dont il se plaignait souvent, c’était de ne pas trouver de viande tendre. Sa boisson à Sainte-Hélène était du claret (Bordeaux) ; en France, elle avait été du chambertin. Il buvait rarement sa demi-bouteille et toujours mettant autant d’eau que de vin. Presque jamais de vins fins. Quelquefois, dans la journée, il buvait un verre de vin de Champagne, mais jamais sans y joindre pour le moins autant d’eau ; c’était une limonade. Le temps employé à ses repas n’était guère plus de quinze ou vingt minutes ; mais, à Sainte-Hélène, si le temps était mauvais, il faisait durer le dessert pendant assez longtemps, en s’amusant à lire à haute voix un acte d’une comédie, d’une tragédie ou quelque pièce de vers ou toute autre chose.

Après le départ de M. de Las Cases et du général Gourgaud, l’Empereur aimait assez à prendre son déjeuner en plein air dans un de ses jardins, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, en compagnie du général Montholon et quelquefois aussi du Grand-Maréchal, quand celui-ci était appelé ou venait voir l’Empereur.

Ordinairement, vers les cinq heures, cinq heures et demie, six heures du matin, l’Empereur sonnait le valet de chambre de service, faisait tirer les rideaux de ses fenêtres et ouvrir ses persiennes. « Quel temps fait-il ? — Sire, il fait beau. — Donne-moi ma robe de chambre, mon pantalon. » On lui passait l’un et l’autre et on lui chaussait ses pantoufles. « Ouvre les portes, les fenêtres, disait-il ; laisse entrer l’air que Dieu a fait. » C’était une phrase dont il se servait quand il était de