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pêchers en assez grande quantité pour former un rideau de verdure, afin de cacher au corps de garde la vue de Longwood.

Lorsqu’on avait creusé le grand bassin du jardin de Nover-raz, celui dans lequel on avait mis des poissons, on avait attaqué et même coupé les principales racines d’un sapin ; cet arbre se sécha, étant privé des sources de la vie. Pour occuper cette place, l’Empereur fit faire par un Chinois une grande cage ou volière en bambou, couronnée d’une espèce d’oiseau que le Chinois donna pour un aigle. Pour peupler la cage, l’Empereur fit acheter quelques douzaines de serins. Ces petits oiseaux demeurèrent un ou deux mois dans leurs petites cages suspendues dans le berceau, en attendant que la volière que l’on construisait fût terminée. Tous les jours on donnait à ces petits volatiles tout ce qu’il leur fallait pour vivre ; mais ils furent pris par le bouton, dont peu à peu presque tous moururent. Les quelques-uns qui restèrent devinrent la proie des chats. En définitive, la volière organisée et placée eut pour premiers habitants un faisan estropié et quelques poules. Pour ne pas perdre celles-ci, on fut obligé de les retirer de la cage quelques jours après. Quant au malheureux faisan, il termina ses jours dans la prison. L’idée vint alors à l’Empereur de mettre des pigeons dans la volière. Pendant quelques jours on tint enfermés les nouveaux habitants ; mais, aussitôt que la porte leur fut ouverte, ils retournèrent à leur précédent domicile. La cage resta sans oiseaux, comme le bassin sans poissons.

Jamais Longwood n’avait été aussi animé qu’il le fut pendant ces travaux de jardin ; l’activité semblait nous avoir fait revivre. Avant, nous avions vécu dans une espèce d’engourdissement. L’Empereur, depuis qu’il était à Sainte-Hélène, ne s’était pas mieux trouvé ; aussi était-il toujours de bonne humeur. Il se levait sur les cinq heures, cinq heures et demie, et attendait très impatiemment que les factionnaires fussent retirés pour aller au jardin. Il faisait ouvrir les fenêtres de ses appartements et allait se promener dans le bosquet, en causant avec le valet de chambre de service. Aussitôt que le soleil se montrait à l’horizon, il envoyait éveiller tout son monde. Lorsque je n’étais pas de service, il m’appelait en jetant quelques petites mottes de terre dans les vitres de la fenêtre de ma chambre qui