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indécisions, sans aucun résidu de doute ou de douleur. Le vrai Parisien, la Parisienne authentique avaient réalisé un accord bienheureux de la vie et de la volonté, et retrouvé, après un long chemin, une sorte de félicité naturelle.

Chaque passant, en un sens, lui paraissait indépendant, souverain comme un roi. Cette impression prenait une vivacité pathétique, lorsqu’il passait au clair de lune, par certains soirs de neige, sur la place Vendôme déserte et sans lumières. La France lui paraissait alors une construction monumentale, astrale, éternelle et incorruptible, incapable de croître et de décroître. Même les Boches, s’ils étaient entrés au pas de parade sous l’Arc de Triomphe, n’auraient pu détruire cette beauté.


C’est à Paris que le capitaine Rubè rencontre la « générale » Lambert, jeune femme d’une gaité charmante ; il devient assidu à ses thés de l’avenue du Trocadéro. Le mari, un des jeunes brigadiers de la guerre, est au front, et sa femme, mère de quatre garçons, se consacre dans son salon à l’entretien de l’alliance. Sa grâce exerce sur Philippe un attrait irrésistible. « Ce n’était pas une beauté parfaite… Elle se vantait d’avoir dans les veines du sang flamand, et en effet, tout son visage était moins lignes que couleurs, avec trop de fossettes et d’ondulations de plans entre la bouche et les tempes, et ses petites lèvres pleines de pulpe, et son petit nez un peu émoussé par le bout. Mais il fallait bien regarder pour s’apercevoir de ces détails. L’ensemble de la physionomie riait comme un trésor. » Hardie, vive, éclatante, cette radieuse Célestine, sous sa toison de cheveux d’or, n’est qu’innocence, joie de vivre : la merveilleuse créature, toujours vêtue d’écarlate, toute blonde et pourpre comme une flamme, si différente de la lymphatique et passive Eugénie, semble à son inquiet ami Eve avant le péché ou, pour mieux dire, la Nature.

Je ne sais si cette beauté sensuelle est bien le type ordinaire de la beauté française. Ou peut-être correspond-il à une certaine idée que peut donner de nous notre récente littérature féminine ? On avait coutume jusqu’à présent de reprocher à la Française d’être une créature trop artificielle, un objet de luxe, un bibelot de salon. Quand Stendhal voulait se figurer cette charmante liberté de l’amour, la région du bonheur, il la situait au Sud des Alpes. Il est curieux que le beyliste M. Borgese la place au contraire plus au Nord. J’imagine qu’il veut