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qu’elle nous est complètement inappréciable. C’est pour cela, mais pour cela seulement, que la forme des objets solides qui nous sont familiers semble être invariable et constante, quelle que soit la vitesse à laquelle ils passent devant nos yeux. Il en serait tout autrement si cette vitesse était des centaines de milliers de fois plus grande.

Tout cela est bien étrange, bien étonnant, bien fantastique, bien difficile à admettre. Et pourtant cela est, si la contraction Fitzgerald-Lorentz, seule explication possible de l’expérience de Michelson, existe réellement. Mais nous avons déjà vu quelques-unes des difficultés qu’il y a à concevoir l’existence de cette contraction. Il y en a d’autres : si tout ce que nous venons de dire est vrai, les objets immobiles dans l’éther conserveraient donc seuls leur forme vraie ; celle-ci serait déformée dès qu’il y a mouvement dans l’éther. Parmi les objets que nous voyons sphériques dans le monde extérieur (planètes, étoiles, projectiles, gouttes d’eau, que sais-je), il y en aurait donc qui sont réellement des sphères, tandis que d’autres, parce que leur mouvement est plus rapide ou plus lent, ne seraient que des ellipsoïdes allongés ou aplatis que la vitesse a déformés ? Ainsi parmi les divers objets carrés il y en aurait qui seraient de vrais carrés, d’autres qui, animés de vitesses différentes par rapport à l’éther, ne seraient que des rectangles réels dont la vitesse a raccourci en apparence le plus long côté ? Et nous n’aurions aucun moyen de savoir jamais quels sont, parmi ces objets animés de vitesses différentes, ceux dont nous voyons la vraie forme, ceux dont la forme n’est qu’apparente, puisque nous ne pouvons en aucun cas, l’expérience de Michelson le prouve, déceler une vitesse par rapport à l’éther ?

Non, non, et cent fois non. Il y a dans tout cela trop de difficultés. Pourquoi parler sans cesse, comme fait Lorentz, de vitesses par rapport à l’éther puisqu’aucune expérience ne peut mettre en évidence une pareille vitesse et que l’expérience est la source unique de la vérité scientifique ? Pourquoi d’autre part admettre que, parmi les objets sensibles, il en est de privilégiés qui, à l’exclusion des autres, se montrent sous leur aspect réel, sans déformation ? Pourquoi admettre une chose pareille qui, en soi, répugne à l’esprit scientifique toujours ennemi des exceptions dans la nature, — il n’est de science que du général, — surtout quand ces exceptions sont indiscernables ?