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SUR L’ESPACE ET LE TEMPS SELON EINSTEIN.

bataille où gisent des cadavres et des débris. Le temps et l’espace, ces crochets que nous croyions solidement rivés au mur derrière lequel se cache la réalité, et où nous attachions nos flottantes notions du monde extérieur, ainsi que des vêtements à des porte-manteaux, sont maintenant arrachés et tombés dans le plâtras des anciennes théories, sous les coups de marteau de la physique nouvelle.

Nous savions bien, certes, que l’âme des êtres nous était cachée, mais nous pensions du moins voir leur visage. Voilà qu’en nous approchant, celui-ci n’est plus qu’un masque. Le monde extérieur n’est rien qu’un bal travesti, et, chose ironique et décevante, c’est nous-mêmes qui avons fabriqué les masques de velours aux reflets changeants, les costumes papillotants. En définissant les choses par l’espace et par le temps, nous avons projeté sur elles deux faisceaux de lumière qui nous montrent en elles des formes et des couleurs. Et voilà que nous découvrons que ces couleurs ne sont que celles, monochromatiques, de la lumière projetée. Et voilà que nous découvrons que les formes mêmes que nous leur voyons leur sont imposées par notre projecteur : le faisceau lumineux est arbitrairement découpé et délimité par un diaphragme dont l’ouverture dépend de sa vitesse ! Le temps et l’espace ne sont-ils donc que des hallucinations ? Et alors, que reste-t-il ?

Eh bien ! non. Car voici qu’après avoir détruit des ruines branlantes, la doctrine relativiste va soudain reconstruire, mieux construire ; voici que, derrière les voilés déchirés et foulés aux pieds, va nous apparaître une réalité plus neuve, plus profonde.

Si nous décrivons l’univers à la manière habituelle, séparément dans les catégories du temps et de l’espace, nous voyons que son aspect dépend de l’observateur. Mais le calcul montre qu’il n’en est heureusement pas de même lorsqu’on le décrit dans la catégorie unique de ce continuum à quatre dimensions dont il a été question et que nous appellerons pour simplifier l’espace-temps. Si j’ose employer cette image, le temps et l’espace sont comme deux miroirs, l’un convexe, l’autre concave, — dont les courbures sont d’autant plus accusées que la vitesse de l’observateur est plus grande. Chacun de ces deux miroirs donne séparément une image déformée de la succession des choses. Mais, par une heureuse compensation, il se trouve qu’en combinant les deux miroirs de telle sorte que l’un réfléchisse