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Il avait eu sous les yeux bien des spectacles qui eussent pu troubler sa philosophie anacréontique : Racine avait quitté le théâtre et la Champmeslé, pour se réconcilier avec Port-Royal et épouser Catherine de Romanet ; Mme de La Sablière s’était retirée aux Incurables, et expiait dans une vie pénitente les péchés de la chair et de l’esprit ; Condé avait fait ses Pâques après dix-sept ans d’irréligion et mourait pieusement ; Louis XIV épousait Mme de Maintenon ; enfin les courtisans,


Peuple caméléon, peuple singe du maître,


donnaient dans la dévotion ou l’hypocrisie. Tous ces changements l’avaient surpris ; mais il était aussi incapable de dévotion que d’hypocrisie. Tout ce qu’il demandait au Ciel était de rester « amoureux et bon poète » jusqu’à quatre-vingt-deux ans. « C’est du Ciel, disait-il, dont il est fait mention au pays des Fables que je veux parler : car celui que l’on prêche à présent en France, veut que je renonce aux Chloris, à Bacchus et à Apollon… Je concilierai tout cela le moins mal et le plus longtemps qu’il me sera possible. » Et il se promettait de continuer à servir les trois divinités « et ce qui s’ensuit ; avec la modération requise, cela s’entend[1]. »

Jusqu’à l’heure de la grâce, il avait été tel que lui-même s’est dépeint dans une jolie lettre à Saint-Evremond :

« Je ne suis pas moins ennemi que vous du faux air d’esprit que prend un libertin. Quiconque l’affectera, je lui donnerai la palme du ridicule.


Rien ne m’engage à faire un livre ;
Mais la raison m’oblige à vivre
En sage citoyen de ce vaste univers ;
Citoyen qui, voyant un monde si divers,
Rend à son auteur les hommages
Que méritent de tels ouvrages.
Ce devoir acquitté, les beaux vers, les deux sons,
Il est vrai, sont peu nécessaires :
Mais qui dira qu’ils soient contraires
À ces éternelles leçons ?
On peut goûter la joie en diverses façons :
Au sein de ses amis répandre mille choses,
Et recherchant de tout les effets et les causes,

  1. Lettre à M. de Bonrepaus, 31 août 1687.